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LE MAL DES ARDENTS

Elle l’écoutait sans l’entendre. Il se mit à rire :

— Alors quoi, on est dans la lune ? À quoi penses-tu ?

— Je pense que tu es un bien brave gars, dit-elle en se secouant comme si elle s’éveillait. Tiens, voilà deux bons gros pour la peine.

Elle l’embrassa sur les deux joues à pleines lèvres.

— Encore, dit-il, en faisant des mines de gosse gourmand.

Elle le baisa de nouveau, deux fois, trois fois, puis toute animée, avec une vraie frénésie. Elle s’arrêta en sentant le sang aux tempes. Alors il la prit, lui posa longuement les lèvres sur le front en fermant les yeux ; il la serrait à faire craquer les os ; il lui faisait mal et elle n’osait le dire de crainte que l’étreinte se desserrât. Enfin il délia ses bras et elle quitta l’atelier sans prononcer un mot. Noë sortit immédiatement, se rendant chez Mazurel.

Quand il revint à l’heure du dîner, il signifia d’un clin d’œil que tout allait bien ; aussitôt Eugénie se pencha à l’oreille de Bernard qui était son voisin de table : « l’oncle Noë verra qui tu sais demain » lui dit-elle. L’adolescent rougit de plaisir et l’embrassa. Mais elle eût un mouvement d’humeur, un sursaut qu’elle n’attendait pas. Sous un prétexte, elle se leva de table, alla à la chambre à coucher, lava son visage à grande eau ; tous ces baisers lui paraissaient subitement impurs ; elle lava sa bouche, ses lèvres, se mouilla au bénitier, elle qui n’était pas bigote, d’un geste qui la soulagea. Elle se sentit plus fraîche ; pourtant elle ne put encore se retenir de tomber à genoux et de faire une prière