Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/101

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bras, elles sont accablées de sa pourpre jaillissante !

Ainsi donc un homme, percé des flèches de Vénus que lance soit un enfant à la molle beauté, (4, 1050) soit une femme qui darde l’amour par tous ses membres, court aux êtres qui le blessent, avide de joindre, de mêler à leur essence les flots de ses voluptueuses écumes : car le désir fougueux est un pressentiment de la jouissance. Voilà ce que nous entendons par Vénus, ce que nous avons nommé Amour. Voilà comment il épanche dans nos âmes cette goutte de volupté, qui tourne sitôt en inquiétudes glaciales, puisque les êtres chéris, dans leur absence, nous laissent de vives images et un doux nom toujours retentissant à nos oreilles.

(4, 1059) Mais on doit fuir ces images, écarter de soi tout ce qui alimente de folles envies, détourner le cours de son intelligence, répandre sans choix une sève trop abondante, loin de la retenir, enchaîné par un seul amour, et de fomenter un germe de soucis, de tourments inévitables. Car, une fois nourrie, la plaie s’aigrit et s’enracine : chaque jour augmente nos fureurs, appesantit nos misères, à moins que de nouveaux coups n’étourdissent les premières blessures, à moins que de fugitives, de vagabondes amours ne les cicatrisent encore fraîches, ou que nous puissions tourner ailleurs les mouvements de nos âmes.

Un homme qui évite l’amour, ne renonce point à sa douce moisson. (4, 1070) Au contraire, sans essuyer les peines, il recueille les fruits. Car, évidemment, les pures voluptés attendent plutôt les âmes saines que de misérables fous. Aux heures mêmes de la possession, les amants promènent, égarent de mille côtés leurs flottantes ardeurs : leurs yeux, leurs mains ne savent de quel trésor jouir avant les autres ; ils pressent violemment les charmes où ils fondent ; ils blessent un faible corps, et leur dent fatigue ces lèvres meurtries de leurs baisers. Tant leurs jouissances sont imparfaites, tant un aiguillon caché les anime contre tous les appas qui engendrent et soulèvent ces rages amoureuses ! (4, 1080) Mais Vénus amortit la douleur au sein du plaisir, et y mêle la douce volupté qui combat les morsures.

Hélas ! on espère que la source même de nos ardeurs peut en éteindre les flammes : espoir que la nature dément et repousse. Cette passion est la seule dont une jouissance complète redouble les embrasements et la fougue terrible. La nourriture, le breuvage que nos membres absorbent, y envahissent des places fixées ; aussi apaise-t-on facilement cet amour du pain et des ondes. (4, 1090) Mais la beauté, la fraîcheur, notre corps ne peut en jouir que par des formes légères ; et encore le vent nous dispute ces maigres espérances. Ainsi, dans le sommeil, un homme brûlé de soif cherche vainement un fluide capable de rafraîchir ses membres : il ne boit que des images jaillissantes ; il a beau se tourmenter, un torrent inonde ses lèvres, et il a soif encore ! Telle, dans l’amour, Vénus se joue des amants par de stériles images. Leurs yeux ne peuvent se rassasier du corps qui