Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/102

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les enchaîne, ni leurs mains arracher une parcelle de ces molles beautés, (4, 1100) où elles errent irrésolues.

Enfin, quand les membres enlacés cueillent la douce fleur des jeunes amours, que les corps tressaillent aux approches des jouissances, et que la déesse va ensemencer le champ maternel, ces étreintes sont encore plus avides : ils confondent leur haleine, leurs bouches humides, que presse la dent fougueuse. Vains efforts ! ils ne peuvent entamer ces charmes, ou engloutir et répandre leur corps dans le corps adoré. Car on voit que leurs âmes brûlent et essayent de le faire : tant ils aiment les nœuds étroits de Vénus, (4, 1110) sitôt que leurs membres amollis fondent aux ardeurs du plaisir [1110] ! Enfin, les sucs irritants jaillissent des nerfs où ils sont amoncelés ; la fougue se calme, mais pour un instant : bientôt les emportements renaissent, et la même fureur agite les hommes, qui essayent de toucher au but où ils aspirent. Hélas ! ils ne trouvent aucun moyen qui dompte le fléau, et une blessure cachée les ronge dans ces incertitudes.

Ajoute que la fatigue dévore les nerfs, et amène le dépérissement ; ajoute que nous passons la vie sous le fouet des autres. Cependant les fortunes s’écroulent, on engage ses biens ; (4, 1120) le devoir languit, et la réputation frappée chancelle. Car on brille de parfums, et du riant éclat des chaussures de Sicyone ; de grandes émeraudes aux vertes lumières sont emprisonnées dans l’or [1123] ; on use continuellement la pourpre, fatiguée de boire les sueurs amoureuses ; les richesses bien acquises de nos pères ne sont plus que rubans et parures, ou se convertissent en robes brodées par Scio et Alinde. Les festins étincelant de riches étoffes, de mets exquis, les jeux, les débauches, les odeurs, les couronnes, les guirlandes, on les prodigue ; (4, 1129) mais en vain. Un goût amer empoisonne la source même du plaisir, et les fleurs cachent des épines : soit que les remords aiguillonnent ces existences oisives, et ruinées par les voluptés impures ; soit que des mots équivoques, lancés par une femme, percent nos âmes éprises, et y demeurent, y couvent en traits de feu ; ou que ses regards nous semblent trop mobiles, trop occupés des autres, et nous révèlent une perfidie dans un sourire.

Encore ces maux accompagnent-ils un amour heureux et sans partage. Que sera donc un amour sans espoir ni aliment ? Ouvre les yeux, et tu apercevras (4, 1140) des tourments innombrables. Aussi vaut-il mieux y pourvoir de la façon enseignée plus haut, et entrer en garde contre tout appât. Car éviter les pièges est chose plus facile que de se dérober aux lacs, une fois pris, et de rompre les nœuds puissants de Vénus.

Et pourtant, quoique saisi et enlacé, on peut échapper au fléau, si on ne se met pas en travers soi-même, si on ne ferme point les yeux sur les vices de cœur ou les imperfections physiques de celle qui enflamme nos désirs. Car la plupart