Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/111

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substance qui répare ces écoulements ruineux, tout serait déjà rompu et changé en air. (5, 280) Ainsi les corps ne cessent d’engendrer l’air, et l’air retourne perpétuellement à l’essence des corps, puisque nous voyons chez tous un flux perpétuel.

De même cette source féconde des torrents de lumière, le soleil, de ses hauteurs, arrose sans cesse le ciel de clartés toujours fraîches, et remplace vivement sa lumière par une lumière nouvelle ; car ses premiers éclairs meurent aux lieux où ils tombent. En veux-tu la preuve ? Sitôt que des nuages viennent se mettre devant le soleil, et que leur interposition coupe pour ainsi dire les rayons du jour, toute la partie inférieure se dissipe à l’instant, (5, 290) et l’ombre gagne la terre du côté où se portent les nues. Cet exemple te montre que les corps ont toujours besoin d’un éclat nouveau, que tout jet lumineux expire, et que rien ne peut être vu au soleil, à moins que le berceau du jour ne fournisse continuellement à ses pertes.

Bien plus, nos flambeaux terrestres, soleils des nuits, ces lampes suspendues, ces torches étincelantes d’un vif éclat et grasses d’une épaisse fumée, s’empressent aussi, à l’aide de la chaleur, de jeter lumière sur lumière [299]. Leurs feux tremblants se hâtent, (5, 300) se hâtent toujours, et on ne voit pas de lieux entrecoupés sous une lueur interrompue : tant chaque rayon de feu succombe rapidement à une mort que précipite la naissance rapide des flammes nouvelles ! Aussi faut-il croire que le soleil, la lune, les étoiles dardent la lumière par des émissions successives, et que leurs premiers rayonnements ne cessent de se perdre, loin de les regarder comme des forces inaltérables.

Enfin, ne remarques-tu pas que les pierres elles-mêmes sont vaincues par l’âge ? que les hautes tours s’écroulent, que les rochers tombent en poudre ? que la fatigue des ans mine les temples et les statues des immortels, (5, 310) sans que toute leur divinité puisse reculer le terme du destin, ou aller contre les lois de la Nature ?

Ne voit-on pas tomber aussi les monuments des hommes ? Ils semblent aspirer eux-mêmes à la vieillesse. Ne voit-on pas les rocs arrachés rouler du haut des montagnes, incapables de soutenir et de braver le puissant effort du temps, même du temps limité ? Car un déchirement subit ne jetterait point à bas des corps qui eussent demeuré jusque-là éternellement impassibles, sans que la tourmente des âges parvînt à les rompre.

Vois de toutes parts, vois au-dessus de nos têtes cet espace qui (5, 320) presse la terre de ses vastes embrassements. Suivant quelques hommes, il engendre toutes choses et reçoit les débris des morts ; il est donc un amas énorme de substance, née de substance périssable. Car tout être qui accroît et alimente les autres diminue nécessairement ; et il augmente de nouveau, lorsque des corps y pénètrent.

De plus, si la terre et le ciel n’ont pas eu d’origine, d’enfantement, et qu’ils aient vécu de toute éternité, pourquoi, avant la guerre de Thèbes et les funérailles de Troie, d’autres poëtes