Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/132

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polis, ces navettes, ces fuseaux et ces verges retentissantes.

La Nature força les hommes, avant la race des femmes, à travailler la laine ; car le sexe mâle l’emporte de beaucoup par l’art et l’industrie. Puis enfin, sous les reproches des austères laboureurs, ils abandonnèrent cette tâche aux mains de la femme, pour essuyer eux-mêmes de robustes travaux, pour endurcir leurs bras et leurs membres à la dure fatigue.

(5, 1360) Le modèle de l’ensemencement et l’origine de la greffe leur vinrent encore de la Nature, cette mère de toutes choses. Les baies et les glands tombés sous les arbres fournissaient, aux époques voulues, un essaim de jeunes rejetons : de là, ils se plurent à confier aux branches des souches étrangères, et à enfouir de nouveaux arbustes dans le sol des campagnes.

Puis ils essayaient tour à tour mille formes de culture pour leurs doux sillons, et ils voyaient les fruits sauvages de la terre s’adoucir à force de soins et de tendres ménagements. Chaque jour, ils repoussaient les forêts vers la cime des montagnes, (5, 1370) et les obligeaient de céder la basse région à la culture, afin d’avoir aux flancs des collines et dans la plaine des prairies, des lacs, des ruisseaux, des moissons, de joyeux vignobles, et afin qu’une ligne d’oliviers au feuillage d’azur pût interrompre la vue çà et là, répandue sur les hauteurs, les vallées ou les plaines. Ainsi, de nos jours, tu aperçois mille grâces variées dans les campagnes, où notre main parsème le doux ornement des fruits, et que des arbres fertiles bordent de leur riante ceinture.

Imiter avec sa bouche la voix limpide des oiseaux, (5, 1379) fut en usage parmi les hommes bien avant ces accords qui soutiennent un vers harmonieux, et charment les oreilles. Le sifflement du Zéphyre dans le creux des roseaux, leur enseigna d’abord à enfler des chalumeaux agrestes et vides. Ensuite, peu à peu, ils apprirent ces douces plaintes que répand la flûte sous le doigt du chanteur ; la flûte, inventée au fond des bois inaccessibles, des grandes forêts, sous les ombrages des montagnes, dans les solitudes des pasteurs, et au sein des célestes loisirs.

Voilà comme la marche des années dévoile successivement tous les arts, et comme l’intelligence les fait jaillir au berceau de la lumière.

Ces inventions flattaient leur âme, et les ravissaient, (5, 1390) quand ils étaient assouvis de nourriture ; car tout plaît alors. Souvent, couchés ensemble sur l’herbe molle, près d’un ruisseau, à l’ombre d’un grand arbre, ils goûtaient à peu de frais toutes les jouissances du corps ; surtout lorsque la saison était riante, lorsque le printemps émaillait de fleurs les vertes prairies. Alors venaient habituellement les jeux, les conversations, les doux éclats de rire ; la muse des champs régnait alors. (5, 1400) Alors enfin une gaieté folâtre les invitait à ceindre leur front et leurs épaules de couronnes tressées, de fleurs et de feuillage, à s’avancer sans mesure, en remuant lourdement leurs membres, et à frapper d’un pied retentissant cette terre, leur mère commune : de là naissaient les rires, les joies bruyantes, parce que ces jeux étaient choses nouvelles, et partant merveilleuses. Ils veillaient même, et se consolaient