Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Anaximène attribuait sa disparition, non à sa course prolongée vers nos antipodes, mais aux hauteurs de la terre qui nous le cachent, et à l’éloignement immense où il est de nous. Anaxagore ne voyait en lui qu’un rocher embrasé ; d’autres ont dit une masse de fer ardent : d’autres, un globe de feu plus gros que le Péloponnèse. Xénocrate le composait, ainsi que les étoiles, de feu, et d’une partie terrestre très-raréfiée. Les stoïciens en faisaient un dieu dont le corps, infiniment plus gros que la terre, puisqu’il l’éclaire tout entière, est tout de feu. Philolaüs, disciple de Pythagore, se l’était peint comme un vaste miroir qui nous envoie par réflexion l’éclat des feux répandus dans l’atmosphère ; Xénophane, comme une collection d’étincelles rassemblées par l’humidité, un nuage de feu renaissant tous les matins sous chaque climat, un simple météore ; Démocrite, comme un résultat d’atomes très-polis, mus en tourbillon ; Épicure enfin, comme une espèce de pierre ponce, une éponge traversée par une infinité de pores, d’où s’échappe à grands flots le feu qu’il renferme.

v. 803. Tum tibi terra dedit primum mortalia sæcla. L’origine de l’homme et des animaux a fort occupé les anciens. Plutarque rapporte que quelques philosophes enseignaient qu’ils étaient nés d’abord dans le sein de la terre humide, dont la surface, desséchée par la chaleur de l’atmosphère, avait formé une croûte, laquelle, s’étant enfin crevassée, leur avait ouvert les passages libres. Selon Diodore de Sicile et Célius Rhodiginus, c’était l’opinion des Égyptiens. Cette orgueilleuse nation prétendait être la première du monde, et croyait le prouver par ces rats et ces grenouilles qu’on voit, dit-on, sortir de la terre dans la Thébaïde, lorsque le Nil s’est retiré, et qui ne paraissent d’abord qu’à demi organisés. C’est ainsi, disait-elle, que les premiers hommes sont sortis du même terrain. L’opinion, renouvelée de nos jours, que le genre humain vient des poissons, est une des plus anciennes hypothèses. Plutarque et Eusèbe nous ont transmis à ce sujet l’opinion d’Anaximandre.






LIVRE VI.


v. 1. Primæ frugiparos fœtus mortalibus ægreis
        didicerunt quondam præclaro nomine Athenæ.

On croyait que les habitants d’Athènes avaient découvert l’art de l’agriculture. Diodore de Sicile nous apprend que ces peuples se vantaient d’avoir, les premiers, formé une société régie par des lois : telle était du moins l’opinion commune ; mais, à l’époque de la fondation d’Athènes, plusieurs peuples orientaux étaient civilisés dès longtemps, et peut-être les Athéniens faisaient-ils partie d’une colonie envoyée d’Asie pour s’établir dans les plus riantes contrées de l’Europe.

v. 86. Ne trepides cœli divisis partibus amens. Lucrèce parle ici de la division que les prêtres devins, appelés fulguratores, assignaient à la voûte céleste, afin de déterminer les différents effets du tonnerre, d’après lesquels ils rendaient leurs oracles.

v. 346. Forsitan ipso veniens trahat aere quædam
      Corpora, quæ plagis incendunt mobilitatem
.

On ne peut assez admirer le discernement de Lucrèce, qui pressentit une partie des propriétés de l’air. L’expérience a confirmé plusieurs de ses hypothèses sur l’action de ce fluide, dont les effets restèrent ignorés jusqu’au moment où Pascal, Torricelli, Boyle, Otto et autres démontrèrent sa pesanteur, sa compressibilité et ses ressorts ; mais on ne savait pas encore que l’atmosphère est un mélange de deux fluides qui, pris séparément, sont transparents, compressibles, pesants, élastiques à peu près comme l’air atmosphérique, et qui néanmoins ont des qualités physiques très-différentes,

v. 424. Πρηστῆρας Graici quos ab re nominitarunt. Lucrèce croit devoir rapporter l’origine du mot prester, qui, en effet, a pour racine le verbe πρήθω, brûler, enflammer, gonfler, souffler. Le dangereux phénomène que les Grecs appelaient πρηστήρ était nommé par les Latins typho et scypho ; les Français lui donnent le nom de trombe. Les anciens et les modernes ne sont pas absolument d’accord sur les causes des trombes ; les uns et les autres l’expliquent d’une manière vraisemblable ; la description donnée par Lucrèce est très-ingénieuse, et fait connaître l’idée qu’en avaient conçue les physiciens de son temps,

v. 524. Hic ubi sol radiis, tempestatem inter opacam,
        Advorsa fulsit nimborum adspergine contra ;
        Tum color in nigris existit nubibus arqui.

Cette définition de l’arc-en-ciel est assez heureuse ; la véritable cause de ce phénomène fut pour les anciens un problème insoluble. Les modernes ne l’ont deviné qu’après de longues et minutieuses recherches.

« L’iris ou l’arc-en-ciel ne paraît que dans un air chargé d’un nuage fondant en pluie. Il est occasionné par la lumière du soleil, réfléchie une ou plusieurs fois dans les petites gouttes dont le nuage est formé. Suivant la position de ces gouttes, les unes envoient à l’œil de l’observateur les rayons rouges de la lumière décomposée ; d’autres, les rayons oranges, ou jaunes, ou violets, etc. ; de sorte que chaque goutte qui concourt à former l’iris paraît de la couleur de la lumière qu’elle envoie à l’œil.

« Le météore, pris dans toute son étendue, est un cercle entier, dont il n’y a de visible que la partie qui est au-dessus de l’horizon. Il se dérobe absolument à notre vue lorsque le soleil dépasse une certaine hauteur : ainsi, dans les longs jours d’été, on ne voit pas d’arc-en-ciel entre neuf heures du matin et trois heures du soir ; dans l’hiver, on peut en voir à toutes les heures, lorsque le soleil est sur l’horizon, et que les autres circonstances sont favorables.

« La lumière de la lune produit aussi des iris plus faibles que celles du soleil, subordonnées aux mêmes lois. »

v. 535. Nunc age, quæ ratio terrai motibus exstet, Percipe. Lucrèce donne pour cause des tremblements de terre, l’eau, l’air et la terre elle-même, et n’y fait point participer le feu, qui, dans les causes d’un pareil phénomène, semble devoir se présenter le premier ; le poëte se rapproche, en quelque sorte, de l’opinion de plusieurs physiciens modernes. Au surplus, tous les moyens supposés par Lucrèce sont ingénieux, et sans cesse revêtus des ornements d’une poésie aussi pittoresque qu’harmonieuse. Voici quelles sont les conjectures des savants modernes sur ce phénomène :

La terre est, en une infinité d’endroits, remplie de matières combustibles ; presque partout s’étendent des couches immenses de charbon de terre, des amas de bitume, de tourbe, de soufre, d’alun, de pyrites, etc., qui se trouvent enfouis dans l’intérieur de notre globe. Toutes ces matières peuvent s’enflammer de mille manières, mais surtout par l’action de l’air, qui est répandu, comme on n’en peut douter, dans tout l’intérieur de la terre, et qui, dilaté tout à coup par ses embrasements, fait effort en tous sens pour s’ouvrir un passage. Personne n’ignore les effets qu’il peut produire quand il est dans cet état. L’eau contenue dans les profondeurs de la terre contribue aussi de plusieurs manières à ces tremblements, parce que l’action du feu réduit l’eau en vapeurs ; et l’on sait que rien n’approche de la force de ces vapeurs. Il faut observer aussi que l’eau, en tombant tout à coup dans les amas de matière embrasée, doit encore produire des