Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/228

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rougi de ses feux. (3, 360) Là des glaçons, subitement condensés, se ramassent sur l’eau courante des fleuves, et bientôt leur solide surface soutient le poids d’un essieu de fer : l’onde, il n’y a qu’un moment, hospitalière aux navires, porte la roue des chars. Souvent l’airain éclate fendu par le froid ; les vêtements se roidissent sur le corps ; on coupe avec la hache le vin, saisi par la gelée ; partout les eaux dormantes se changent en un dur cristal ; et la barbe elle-même durcit, hérissée de glaçons pendants. Jour et nuit il neige : les troupeaux périssent ; çà et là restent dans les neiges qui les enveloppent les grands corps des bœufs ; et les cerfs qui viennent en gros bataillons (3, 370) s’enfoncer dans les masses glacées, s’y engourdissent ; à peine le bout de leur ramure paraît-il : alors plus de chiens à lancer contre eux, plus de filets à tendre, plus de flèches à décocher contre la troupe qui fuit épouvantée ; mais on les frappe de près avec le fer, tandis qu’aux abois ils poussent leur poitrine contre la montagne de neige qui les emprisonne ; ils ont beau bramer, on les tue ; et les chasseurs les emportent en poussant de grands cris de joie.

Ces peuples se retirent dans des cavernes qu’ils se creusent, et vivent sous terre oisifs et heureux. Ils entassent des chênes et des ormes entiers qu’ils roulent sur leur foyer, et qu’ils livrent à la flamme. Là ils passent les nuits à jouer, à verser dans des coupes (3, 380) un jus piquant fait de froment et de fruits sauvages, seul vin de ces déserts. Ainsi vers les régions hyperboréennes vit dans sa liberté sauvage cette race d’hommes sans cesse battue des vents du Riphée ; elle n’a pour s’en défendre que la peau des bêtes fauves.

Si tu veux avoir de belles laines, écarte ton troupeau des fourrés épineux, de la bardane, du chardon : fuis aussi les pâturages trop gras, et ne compose ton troupeau que de brebis à la blanche et fine toison. Mais si ton bélier (fût-il blanc comme la neige) laisse voir dans son palais humide une langue noire, rejette-le, de peur qu’il n’entache de ses souillures les enfants (3, 390) qui naîtraient de lui ; et, dans la plaine où tu vois se répandre tes brebis, cherche un autre père à tes agneaux. Ô Diane, s’il est permis de le croire, ce fut par l’éclat d’une blanche toison que Pan, dieu d’Arcadie, éblouit vos yeux fascinés ; il vous attira dans le fond des bois, et vous ne dédaignâtes pas de venir à lui.

Si tu aimes mieux tirer du lait de tes troupeaux, va toi-même garnir leurs étables de cytise, de lotos, et d’herbes parsemées de sel. Tes chèvres n’en auront que plus envie de boire ; leurs mamelles se tendront davantage, et le lait retiendra quelque peu de la secrète saveur du sel. Plusieurs défendent l’approche des mères aux chevreaux déjà forts, et enchaînent leur bouche encore tendre au moyen de muselières ferrées. (3, 400) Le lait qu’on a tiré le matin ou au milieu du jour, on le fait épaissir pendant la nuit : celui qu’on a tiré le soir, et au coucher du soleil, se caille dans des paniers de joncs jusqu’au matin : alors le berger va le porter à la ville ; ou bien il le sale un peu, et le conserve pour l’hiver.

Que tes chiens de garde n’attendent pas tes derniers soins : le limier de Sparte si léger à la course, et le dogue ardent de l’Épire, tes deux sentinelles, veulent être nourris d’une pâte engraissée