Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’airain sonore, qui excite les moins belliqueuses ? entends-tu ces bourdonnements qui imitent les sons brisés de la trompette ? Toutes se rassemblent en tumulte, déploient leurs ailes brillantes, aiguisent leurs dards avec leurs trompes, préparent leurs armes, et, se pressant autour de leur roi aux abords de sa tente, elles provoquent à grands cris les bataillons ennemis. Enfin, quand l’atmosphère est sereine, et que les vastes campagnes s’ouvrent devant elles, elles s’élancent de leur camp : la mêlée commence : il se fait un grand bruit dans les airs ; on dirait un vaste tourbillon d’ailes qui se confondent ; (4, 80) les morts tombent précipités des cieux : la grêle ne fond pas plus serrée du haut des airs ; il ne pleut pas tant de glands du chêne que l’on secoue. Au fort de la mêlée paraissent les deux rois, que leurs ailes distinguent ; et dans leurs petits corps ils portent un grand courage. Acharnés l’un contre l’autre, ils ne cèdent pas, avant que les vainqueurs, écrasant les vaincus, les aient dispersés et mis en déroute. Qu’on jette seulement un peu de poussière, toute cette émotion et ces formidables combats tombent et s’apaisent à l’instant.

Mais lorsque tu auras rappelé de la mêlée les deux chefs, tue sans pitié celui qui t’a paru le moins vaillant, de peur qu’inutile à l’État, il n’en consomme la substance : (4, 90) que le vainqueur règne seul et sans rival dans sa cour. Celui-ci a la robe toute luisante de paillettes d’or ; il est plus fort, de plus belle apparence, et a le corps couvert d’écailles rutilantes : celui-là, qui est de l’espèce inférieure, a l’air ignoble et hideux, et traîne languissamment la masse d’un ventre paresseux. La différence est la même entre les sujets qu’entre les rois. Parmi les abeilles les unes sont horribles à voir ; on dirait cette poussière soulevée par le vent, et que le voyageur rejette encore sèche de son gosier altéré ; les autres, au contraire, reluisent, et ne sont que flamme et or ; tout leur corps est marqueté de taches pareilles. (4, 100) Cette espèce-ci est la meilleure ; tu tireras d’elle dans la saison un miel doux, mais moins doux encore que fluide, et propre à corriger la dureté du vin.

Mais lorsque tes abeilles volent à l’abandon et se jouent dans les airs ; lorsque, dégoûtées de leurs rayons, elles ont quitté leurs froides demeures, tu empêcheras ces vains amusements d’une humeur vagabonde. Rien n’est plus facile : arrache les ailes aux rois ; ceux-ci retenus dans le camp, jamais les troupes n’oseront se mettre en campagne, ni lever leurs enseignes. Que tes jardins tout parfumés de fleurs odoriférantes les invitent à s’y reposer, (4, 110) et qu’armé de sa faux de saule, le dieu de l’Hellespont, Priape, les préserve des voleurs et des oiseaux. Que celui à qui tu as commis le soin de tes ruches répande alentour et au loin la semence du thym et la graine des pins, rapportée des hautes montagnes ; qu’il fatigue à cela ses mains dures à la peine ; qu’il enfonce en terre toutes sortes de plantes fertiles, et qu’il leur verse des eaux rafraîchissantes.

Moi-même, si je n’étais presque à la fin de ma course orageuse, et si, pliant ma voile, je n’avais hâte de tourner ma proue vers la terre,