Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/235

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peut-être dirais-je ici l’art de cultiver et d’embellir les fertiles jardins ; (4, 120) je chanterais les rosiers de Pestum qui fleurissent deux fois l’an ; je montrerais comment la pâle chicorée est réjouie par les eaux qu’elle boit ; comment le persil borde la verdoyante rive ; comment le tortueux concombre rampe à travers les herbes, sur ses flancs qui grossissent : je n’oublierais ni le narcisse lent à fleurir, ni les tiges ployantes de l’acanthe, ni le lierre blanc, ni le myrte qui aime les frais rivages. Au pied des hauts remparts de Tarente, là où le Galésus arrose de ses eaux noires des campagnes aux moissons jaunissantes, je me souviens d’avoir vu autrefois un vieillard de Cilicie, qui avait pour tout bien quelques arpents d’une terre abandonnée : elle n’était ni propre au travail des taureaux, ni bonne à nourrir les troupeaux, ni même agréable à Bacchus. (4, 130) Cependant le vieillard avait planté au milieu des buissons quelques légumes, que bordaient des lis blancs, des verveines et des pavots : content de sa fortune, il s’égalait aux rois ; et le soir, quand il rentrait dans sa maison, il chargeait sa table de mets qu’il n’avait point achetés. Le premier il cueillait la rose du printemps et les fruits de l’automne : quand le triste hiver avec ses glaces fendait la pierre et enchaînait le cours des fleuves, lui commençait à tondre la molle chevelure de l’acanthe, accusant l’été trop lent à venir, et les zéphyrs paresseux. Le premier donc il voyait ses abeiiles grossir leurs trésors et ses essaims (4, 140) se multiplier ; le premier il pressait de ses mains le miel écumant des rayons : pour lui croissaient les tilleuls, et le sapin aux sucs abondants ; et autant ses fertiles pommiers avaient poussé de fleurs printannières, autant ils portaient de fruits mûrs en automne. Il savait aussi transplanter et aligner les ormeaux déjà avancés, le dur poirier, le prunier greffé sur l’épine, et le platane qui déjà prêtait son ombre aux buveurs. Mais je sens que je m’emporte hors de l’étroit espace de mon sujet ; je laisse là les jardins ; d’autres achèveront de les chanter.

(4, 149) Je vais dire maintenant les instincts admirables que Jupiter lui-même accorda aux abeilles, en récompense des soins qu’il en reçut, alors qu’attirées par les sons des Corybantes et par l’airain frémissant de leurs cymbales, elles vinrent nourrir le roi du ciel dans l’antre du mont Dictée. Seules de tous les animaux, les abeilles élèvent leurs enfants en commun ; seules elles habitent une cité et des demeures communes, et vivent régies par des lois imposantes : seules elles ont une patrie et des pénates fixes ; et, prévoyant l’hiver qui va venir, elles se livrent l’été au travail et mettent en commun les richesses qu’elles ont amassées. Les unes veillent à la subsistance de l’État ; leur tâche ainsi réglée, elles vont butiner dans la campagne : les autres, retenues dans l’intérieur de la maison, posent les premiers fondements de leurs rayons, (4, 160) qu’elles pétrissent avec les sucs visqueux de l’écorce des arbres et avec les pleurs du narcisse ; ensuite elles suspendent, en l’étageant, le solide édifice de cire : d’autres élèvent les jeunes nourrissons, l’espérance de la nation : d’autres entassent le miel le plus pur et remplissent du liquide nectar les alvéoles gonflées. Il en est d’autres à qui la garde des portes a été dévolue par le sort ; et, tour à tour en sentinelle, elles observent la pluie et les nua-