Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/237

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leur roi : tant qu’il vit, elles ont comme un seul et même esprit ; meurt-il, tout lien de fidélité est rompu ; elles-mêmes dispersent leurs rayons, et saccagent leurs beaux édifices de miel. Le roi préside à leurs ouvrages ; elles l’admirent ; elles se pressent autour de lui en frémissant ; elles se rassemblent pour l’escorter : souvent même elles le portent sur leurs ailes, et dans les combats elles le couvrent de leurs corps ; pour lui elles vont au-devant des blessures et des morts glorieuses.

Quelques-uns, frappés de ces grands traits et de ces exemples extraordinaires, (4, 220) ont pensé qu’il y avait dans les abeilles une partie de l’esprit divin, et comme une émanation éthérée de l’âme universelle. Un dieu, disent-ils, est répandu par toute la terre et la mer, et dans les profondeurs des cieux. C’est de lui que les animaux, et les hommes, et toute la race des bêtes fauves, tirent en naissant des souffles légers de vie. Ces âmes, rappelées à leur principe éternel, s’y réunissent après que les corps sont dissous ; elles ne meurent pas ; mais, toujours vivantes, elles s’envolent vers les célestes espaces, et reprennent leur rang parmi les astres.

Le moment venu de découvrir l’auguste palais de tes abeilles, et d’en tirer les trésors conservés du miel, aie soin de remplir ta bouche d’eau, (4, 230) et laisse-l’y tiédir ; en même temps porte et agite devant tes abeilles un tison fumant ; deux fois l’an elles se garnissent de miel, deux fois tu en fais la récolte : la première, lorsque du haut des cieux Taygète montre à la terre son front charmant, et que, sortant de l’Océan, elle en repousse les flots d’un pied dédaigneux ; la seconde, lorsque, fuyant le signe des Poissons, et l’hiver venu, triste elle redescend dans le gouffre des mers. Les abeilles ont des colères implacables : forcées dans leurs retraites, elles percent leur ennemi en lui soufflant leurs poisons ; elles s’attachent à ses veines, y enfoncent un aiguillon invisible, et laissent dans la plaie leur dard et leur vie.

Si, redoutant pour elles un hiver rigoureux, tu épargnes leurs trésors pour les mauvais jours, (4, 240) si tu as pitié de leur esprit abattu et de leur déplorable fortune, n’hésite pas du moins à garnir de thym les ruches délabrées, et à en retrancher les cires inutiles : car souvent le cloporte ronge dans l’ombre les rayons ; les chenilles, ennemies de la lumière, s’y ramassent à couvert sous les lits qu’elles se tissent ; le bourdon parasite vient manger la pâture des abeilles ; le terrible frelon leur livre des combats inégaux ; les teignes, cette vivace engeance, y pullulent ; ou encore l’insecte haï de Minerve suspend aux portes de la ruche ses filets flottants. Enfin, plus tu épuiseras tes essaims, plus ils auront d’ardeur à réparer les pertes de l’État ruiné, (4, 250) à remplir leurs alvéoles, à couvrir de fleurs leurs greniers odorants.

Si tes abeilles (puisque leur vie est sujette aux mêmes accidents que la nôtre) viennent à languir abattues par la maladie, tu le reconnaîtras bientôt à des signes non équivoques. Tout à coup elles changent de couleur, une horrible maigreur les fait paraître difformes ; alors elles emportent hors de leurs demeures les corps de celles qui ne voient plus la lumière ; alors elles mènent de tristes funérailles. Quelquefois les es-