Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/247

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dain la cohorte serrée des vents s’élance, et se répand sur la terre en tourbillons sifflants. L’Eurus, le Notus, l’Africus fécond en tempêtes, s’abattent tous ensemble sur la mer, la bouleversent dans ses profonds abîmes, et roulent vers le rivage ses vastes flots. En même temps éclatent les cris des matelots, mêlés au sifflement des cordages. Les nuées dérobent tout à coup le jour aux yeux des Troyens ; le ciel disparaît, et une nuit noire s’abaisse sur les eaux. (1, 90) Le tonnerre gronde ; de fréquents éclairs illuminent la nue : tout présente aux matelots la menaçante image de la mort. Énée alors sent le frisson de l’épouvante se glisser dans ses veines ; il gémit, et, tendant ses mains vers le ciel, il s’écrie : « Ô trois et quatre fois heureux ceux à qui il a été donné de mourir à la face de leurs parents et sous les hauts remparts d’Ilion ! Ô le plus brave des Grecs, fils de Tydée, que n’ai-je pu succomber dans les champs de Troie, et rendre sous les coups de ton bras cette vie trop prolongée, là ou le terrible Hector, percé par les traits d’Achille, mord la poussière ; où le grand (1, 100) Sarpédon est couché, où le Simoïs entraîne dans ses ondes et roule avec elles les boucliers, les casques et les généreux corps de tant de héros ! »

Tandis qu’il exhale ces plaintes, voici que la tempête, portée sur l’aile sifflante de l’Aquilon, vient frapper de front la voile, et élève les vagues jusqu’aux nues. Les rames sont brisées ; la proue dévie, et présente le flanc aux ondes : l’eau bondit, amoncelée en montagne écumante. Les uns demeurent suspendus sur la cime des vagues ; les autres, précipités au fond de l’abime entr’ouvert, voient la terre à travers les flots ; l’onde et le sable bouillonnent confondus. Le Notus emporte dans ses tourbillons trois navires, et les jette (1, 109) sur ces grands rochers cachés sous les eaux, et qui étendent à la surface des mers leurs cimes en forme de dos immenses : les Italiens les appellent Autels. Trois autres (ô spectacle pitoyable !), poussés par l’Eurus de la haute mer contre les bas-fonds, et engagés dans les syrtes, vont s’y briser ; et de tous côtés les cernent des monceaux de sable. Le vaisseau qui portait le fidèle Oronte et ses Lyciens est frappé dans la poupe par une lame immense qui fond des cimes écumeuses. Arraché du gouvernail, le pilote roule tête baissée dans la mer ; trois fois le navire tournoie sur lui-même, entraîné par la vague tourbillonnante : enfin le gouffre rapide le dévore. Alors apparaissent, nageant çà et là dans le vaste abîme, quelques malheureux : les armes des guerriers, les débris des navires, les trésors d’Ilion, flottent épars sur les eaux. (1, 120) Déjà le solide vaisseau d’Ilionée, celui du vaillant Achate, celui qui porte Abas et le vieil Aléthès, succombent, vaincus par la tempête : tous reçoivent dans leurs flancs désunis l’onde ennemie, et s’affaissent en éclatant.

Cependant Neptune entend les murmures tumultueux de la mer, les bruits de la tempête déchaînée, et sent son empire bouleversé jusqu’en ses profonds abîmes. Troublé par ce désordre, il lève au-dessus des flots sa tête majestueuse, et porte au loin ses regards : il voit