Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/248

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la flotte d’Énée dispersée sur toute la mer, les Troyens écrasés par les vagues, et le ciel qui s’écroule sur eux. (1, 130) Le frère de Junon a bientôt reconnu les ruses et la colère de la déesse. Il appelle à lui Eurus et Zéphyre, et leur parle ainsi : « Êtes-vous donc si fiers de votre origine, que vous en ayez tant d’audace ? Quoi ! sans mon ordre vous osez, Vents téméraires, troubler le ciel et la terre, et soulever d’aussi grandes tempêtes ? Je devrais.... Mais d’abord il faut que je calme les flots émus. Désormais un pareil attentat serait suivi d’un autre châtiment. Hâtez-vous de fuir, et dites à votre roi que ce n’est pas à lui, mais à moi, que le sort a donné l’empire de la mer et le redoutable trident : à lui ses rochers, (1, 140) vos demeures profondes ; à lui cette cour ; qu’il y triomphe, et qu’il règne sur vos prisons fermées. » Il parlait encore, que le sein gonflé des mers tombait à sa voix : le dieu dissipe les nuages amoncelés, et ramène le soleil. Cymothoé et Triton, rassemblant leurs efforts, dégagent les vaisseaux suspendus aux pointes des écueils ; Neptune lui-même les soulève avec son trident, leur ouvre un passage à travers les vastes syrtes, apaise la mer, et sur son char léger rase la surface des eaux. Ainsi, quand au sein d’une grande cité éclate une sédition, l’ignoble populace déchaîne ses turbulentes fureurs : (1, 150) déjà volent dans l’air les pierres et les torches ; la rage arme les bras. Mais qu’un homme imposant par sa piété et par ses vertus vienne tout à coup à paraître, on se tait, on prête l’oreille, on écoute. Celui-ci par ses discours subjugue les esprits et adoucit les cœurs. Ainsi tomba tout le fracas de la mer, après que le père des ondes, promenant ses regards sur son empire, et emporté par ses coursiers sous un ciel pur, les eut guidés de sa main, et laissé le char et les rênes voler sur les eaux tranquilles.

Les Troyens, fatigués par la tempête, s’efforcent à l’envi de gagner le plus prochain rivage, et tournent leurs proues vers les terres de !a Libye. Là, dans un golfe enfoncé, est une île qui forme un port (1, 160) par le prolongement de ses côtés ; les eaux venant de la haute mer s’y brisent, et, refoulées sur elles-mêmes, se partagent après de longs détours. À droite et à gauche sont de vastes rochers, dont deux menacent le ciel : à l’ombre de leurs sommets les flots dorment au loin, tranquilles et silencieux ; au-dessus s’élèvent en amphithéâtre des arbres où se joue la lumière, et la forêt abaisse sur les eaux la noire épaisseur de ses ombres. En face et sous des roches pendantes est un antre où coulent des eaux douces, où la nature a taillé des sièges dans la pierre vive : c’est la retraite des nymphes. Là point de câbles qui retiennent les vaisseaux fatigués ; point d’ancre à la dent mordante qui les enchaîne. (1, 170) Énée, avec sept navires qu’il a recueillis, restes de toute sa flotte, aborde dans cette anse ; les Troyens, dans leur impatiente ardeur de toucher la terre, s’élancent des vaisseaux, prennent possession de la rive tant désirée, et étendent sur la grève leurs membres, flétris par le sel piquant des mers. Aussitôt Achate fait jaillir l’étincelle des veines d’un caillou, la recueille dans des feuilles, amasse autour des matières arides, et saisit dans son foyer la flamme pétillante. Tous alors tirent des vaisseaux, ressource dernière dans