Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/261

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mémoire. Bacchus, père de la gaieté, et toi, Junon protectrice, soyez-nous favorables : et vous, Tyriens, célébrez avec moi ce fortuné banquet. » Elle dit, répand sur la table le vin des libations, et effleure de ses lèvres les bords de la coupe, qu’aussitôt elle donne à Bitias en l’excitant : celui-ci avale intrépidement la liqueur écumante, et s’abreuve à longs traits dans l’or. (1, 740) La coupe circule de mains en mains. Alors Iopas à la longue chevelure chante sur sa lyre d’or les sublimes leçons du grand Atlas. Il dit la course vagabonde de la lune et les feux éclipsés du soleil, l’origine des hommes et des animaux, la cause des pluies et des éclairs : il dit l’Arcture, les Hyades pluvieuses, et les deux Ourses ; pourquoi les soleils d’hiver se plongent si vite dans l’Océan teint de leurs feux ; pourquoi les nuits d’été sont si tardives. Tyriens et Troyens applaudissent de concert. Cependant la malheureuse Didon prolongeait dans la nuit ses entretiens avec Énée, et buvait à longs traits le poison de l’amour. (1, 750) Elle l’interroge sans fin et sur Priam et sur Hector. Elle lui demande avec quelles armes le fils de l’Aurore était venu à Troie, quels étaient les coursiers de Diomède, quel était le grand Achille. « Mais, dit-elle au héros, racontez-moi dès le commencement les pièges des Grecs, les malheurs des vôtres, et vos longs errements : car voici le septième été qui vous voit porter votre fortune fatiguée de mer en mer et de rivage en rivage. »


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LIVRE II.


(2, 1) Tous se taisent ; tous ont l’oreille et le regard aux paroles d’Énée. Alors le héros, de la couche élevée où il est assis, commence en ces termes :

« Vous m’ordonnez, grande reine, de réveiller le souvenir d’inexprimables douleurs, de vous raconter comment la puissance de Troie est tombée, comment les Grecs ont renversé ce déplorable empire : affreux malheurs que j’ai vus de mes propres yeux, et auxquels je n’ai eu que trop de part. Quels soldats, Myrmidons ou Dolopes, ceux même de l’impitoyable Ulysse, pourraient redire ces calamités sans répandre des larmes ? Mais déjà la nuit humide se précipite des cieux, et les astres, penchant vers leur déclin, nous invitent au sommeil. (2, 10) Cependant si vous avez un si grand désir de connaître nos malheurs, et d’apprendre en peu de mots la catastrophe dernière d’Ilion, quoique mon esprit s’épouvante de ces souvenirs et en recule d’horreur, je vous obéirai.

« Epuisés par la guerre, rebutés par les destins et par dix ans de vains efforts, les chefs des Grecs, à qui la divine Pallas inspire cet artifice, construisent un cheval énorme, haut comme une montagne, et en forment la masse d’ais de sapin adroitement unis. Ils répandent le bruit mensonger que c’est un vœu pour obtenir un heureux retour ; on les croit. Cependant ils cachent dans les flancs ténébreux du monstre l’élite des guerriers que le sort a désignés ; en un moment les cavités (2, 20) immenses de la machine et son vaste sein se remplissent de soldats armés.