Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/262

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« En vue d’Ilion est une île fameuse par son nom et ses richesses, tant que subsista l’empire de Priam : c’est Ténédos ; aujourd’hui ce n’est plus qu’une anse abandonnée, un abri peu sûr pour les vaisseaux. Là les Grecs s’avançant se cachent sur le rivage. Nous de croire qu’ils sont partis, et que le vent les pousse vers Mycènes. Enfin la Troade entière respire de son long deuil. Ilion ouvre ses portes : on se répand à l’envi hors des murs ; on aime à voir le camp des Grecs, les postes abandonnés, le rivage désert. Ici campaient les Dolopes, là le redoutable Achille dressait sa tente ; (2, 30) ici était la flotte, la combattaient les armées. Les nôtres regardent ébahis ce funeste présent offert à Minerve, à la vierge immortelle, et admirent la masse prodigieuse du cheval. Thymète le premier dit qu’il faut le faire entrer dans nos murs et le placer dans la citadelle, soit que Thyméte nous trahît, soit que les destins de Troie l’ordonnassent ainsi. Mais Capys, et avec lui les plus sages, veulent que cette machine traîtresse et les dons suspects des Grecs soient précipités dans les ondes ou livrés à la flamme dévorante, ou qu’on perce au moins les flancs du cheval, et qu’on en sonde les cavités profondes. Mille sentiments contraires partagent les esprits agités de la multitude.

(2, 40) « Tout à coup du haut de la citadelle on voit accourir, suivi d’une foule nombreuse, Laocoon qu’enflamme la colère ; et de loin : "Malheureux citoyens, s’écrie-t-il, quelle démence est la vôtre ? Croyez-vous nos ennemis éloignés, ou que les Grecs apportent des offrandes que n’empoisonne pas la ruse ? Est-ce là connaître Ulysse ? Ou les Grecs sont enfermés dans les vastes contours de ce bois, ou cette machine a été fabrlquée contre nos murailles pour explorer nos demeures et dominer Pergame, ou quelque piège y est caché. Troyens, ne vous fiez point à ce cheval. Quoi que ce soit, je crains les Grecs, même avec leurs pieuses offrandes." (2, 50) Il dit, et d’un bras vigoureux lance une longue javeline contre les flancs du cheval, et dans les ais arrondis de son ventre monstrueux : la javeline s’y arrête en tremblant. La masse en est ébranlée, et ses concavités sonores rendent un long gémissement. Hélas ! si les dieux ne nous avaient pas été contraires, si nos esprits n’avaient pas été aveuglés, il nous aurait poussés à déchirer avec le fer ce ténébreux repaire des perfides Argiens : et toi, Ilion, tu serais encore debout ; haute citadelle de Priam, nous te verrions encore !

« Cependant des bergers troyens, poussant de grands cris, traînaient devant le roi un jeune homme, les mains liées derrière le dos. Inconnu, il s’était jeté lui-même entre leurs mains, (2, 60) pour mieux couvrir sa ruse, et pour livrer aux Grecs les portes de Troie ; le cœur résolu, et prêt à tout, à consommer son stratagème, ou à succomber à une mort certaine. De tous côtés la jeunesse troyenne accourt et l’environne, impatiente de le voir ; c’est à qui insultera le captif. Apprenez maintenant, ô reine, toute la fourberie des Grecs, et que la scélératesse d’un seul vous les fasse connaître tous. Troublé et sans défense, il s’arrête au milieu de la foule qui l’entoure, et promène un moment ses regards sur les Phrygiens assemblés. Tout à coup il s’écrie : "Hélas ! quelle terre aujourd’hui, quelles mers me peuvent (2, 70) recevoir ? Quelle ressource me reste-t-il encore, à moi le plus