Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/270

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monstrueux cheval, et se cachent dans ses flancs, qui leur sont si connus. Hélas ! qui peut, s’il a contre lui les dieux, s’en fier à sa vaillance ?

« Voici que du temple et du sanctuaire de Minerve la fille de Priam, Cassandre, était traînée, les cheveux épars, et levant au ciel ses yeux enflammés de colère ; ses yeux... car des fers chargeaient ses faibles mains. Corèbe ne peut soutenir ce spectacle, et furieux il se jette, pour y mourir, au milieu de la foule des Grecs. Nous le suivons tous, et nous nous précipitons au fort de la mêlée. (2, 410) Mais voilà que, du faîte du temple où ils s’étaient portés, les Troyens nous écrasent sous leurs traits ; la forme de nos armes et nos panaches grecs les ont trompés : il se fait un horrible massacre des nôtres. En même temps les Grecs, de douleur et de rage de se voir enlever la vierge captive, se rassemblent de tous côtés et fondent sur nous : c’est le fougueux Ajax, ce sont les deux Atrides, c’est l’armée entière des Dolopes. Ainsi, rompant le tourbillon qui les enveloppait, des vents rivaux, le Zéphyre, le Notus, et l’Eurus fier de monter les coursiers de l’Aurore, luttent les uns contre les autres : les forêts sifflent ; Neptune en furie fait écumer la mer sous son trident, et la bouleverse dans ses plus profonds abîmes. (2, 420) Ceux même qu’au milieu des ombres de la nuit nous avions surpris, dispersés, poussés devant nous par toute la ville, reparaissent soudain. Les premiers ils reconnaissent nos boucliers, et nos armes empruntées ; ils remarquent les sons étrangers de notre langage. Nous sommes donc accablés par le nombre : Chorèbe le premier, frappé par la main de Pénélée, va tomber devant l’autel de la redoutable déesse de la guerre : Rhipée tombe aussi ; Rhipée, le plus juste des Troyens, le plus pieux des mortels : et pourtant les dieux ne l’épargnèrent pas ! Hypanis et Dymas meurent percés par des javelots troyens ; et toi, Penthée, (2, 430) tu tombas aussi, et ni ton insigne piété, ni le sacré bandeau d’Apollon, ne purent te protéger. Cendres d’Ilion, et vous flammes qui dévorâtes les restes des miens, soyez-moi témoins que dans cette chute dernière de ma patrie je n’ai évité ni les traits des Grecs, ni les chances périlleuses des combats ; et que si c’eût été ma destinée de succomber, j’avais fait assez pour mériter de mourir ! Enfin nous sommes arrachés de la mêlée ; avec moi se retirent Iphitus et Pélias ; Iphitus, déjà appesanti par l’âge ; Pélias, qu’Ulysse a blessé, et qui se traîne sur nos pas. Alors de grands cris nous appellent au palais de Priam.

« Là nous vîmes un combat si terrible et Mars si furieux, qu’il semblait qu’on ne combattît point ailleurs, et que nul ne mourût dans Troie entière. Nous vîmes les Grecs se précipiter à l’escalade du palais, (2, 441) et, formant la tortue, en assiéger les portes. Les échelles sont dressées le long des murs, au pied même des portes ; sur les degrés se pressent les assiégeants ; d’une main ils tiennent leurs boucliers, dont ils se couvrent pour repousser les traits ; de l’autre, ils saisissent le faîte du toit. Les Troyens de leur côté arrachent les pierres de leurs tours et de leurs maisons démolies : voyant venir leur dernière heure et déjà sous le coup de la mort, ils n’ont plus que ces armes pour se défendre. Les poutres et les lambris dorés, superbes ornements de leurs anciens rois, sont roulés sur l’ennemi ; d’autres, l’épée à la main, (2, 450) gardent les premières portes, et, serrant leurs rangs, en défendent l’entrée. Ce spectacle