Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/269

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au milieu des glaives ennemis. La seule ressource des vaincus, c’est le désespoir." Ce peu de mots a redoublé leur rage. Alors, comme des loups ravissants qui, poussés hors de leur retraite par l’indomptable faim, rôdent dans une nuit noire, et que leurs petits attendent, le gosier altéré de carnage, nous courons, à travers les ennemis et les traits, à une mort certaine. Nous nous avançons au milieu (2, 360) de la ville ; la nuit étend sur nous ses ailes ténébreuses. Nuit cruelle ! qui pourrait en raconter les désastres et les morts sanglantes ? Quels yeux, Ilion, auraient assez de larmes pour pleurer tes malheurs ! Une ville antique, et durant tant d’années la reine des cités, tombe, et les corps inanimés de ses habitants jonchent çà et là ses rues, ses maisons, le seuil sacré de ses temples. Cependant les Troyens ne rougissent pas seuls le fer de leur sang : parfois aussi le courage se réveille dans le cœur des vaincus, et sous leurs mains ranimées tombent les Grecs vainqueurs : partout le sang, les pleurs, l’effroi ; partout l’image lugubre de la mort.

(2, 370) « Le premier des Grecs qui s’offre à nous, c’est Androgée, à la tête d’une troupe nombreuse : nous croyant de ses compagnons d’armes, et trompé par la nuit, il nous adresse ces confiantes paroles : "Amis, hâtez-vous donc ; quelle lenteur enchaîne ainsi vos pas ? Déjà nos compagnons, animés au pillage, emportent les débris enflammés de Pergame ; et vous, vous descendez à peine de vos vaisseaux !" Il dit, et tout à coup s’aperçoit, à notre réponse équivoque, qu’il est tombé dans un parti d’ennemis. Frappé de stupeur, il se retire, retenant et ses pas et sa voix. Tel le voyageur appuie, sans y songer, un pied pesant sur un serpent caché sous les ronces épineuses, et soudain recule épouvanté : (2, 381) le reptile a dressé sa tête et son cou bleuâtre, que gonfle la colère. Ainsi devant nous Androgée reculait d’épouvante. Nous fondons sur sa troupe, et, la pressant de nos armes, nous l’enveloppons de tous côtés. Troublés par la peur et par l’ignorance des lieux, les Grecs tombent sous nos coups : la fortune seconde ainsi nos premiers efforts. "Mes amis, s’écrie Corèbe, que le succès échauffe et transporte, marchons dans ce premier sentier que nous fraye la fortune ; et partout où elle se montre favorable, suivons-la. Changeons nos boucliers, et couvrons-nous des armes des Grecs : (2, 390) ruse ou valeur, qu’importe entre ennemis ? les Grecs eux-mêmes nous fourniront des armes."

« Il dit, et pare son front du casque d’Androgée et de son aigrette flottante, se couvre de son brillant bouclier, et attache à son côté le glaive emprunté des Grecs. Rhipée, et Dymas, et tous les nôtres, entraînés par son exemple, en font autant : chacun s’arme de ses dépouilles récentes. Nous marchons ainsi, nous mêlant aux Grecs, en dépit des destins jaloux, et nous livrons maint combat heureux dans la nuit obscure. Plus d’un guerrier d’Argos est précipité dans l’Orcus. Les uns fuient vers leurs vaisseaux, et vont chercher vers le rivage (2, 400) un sûr abri ; les autres, frappés d’une honteuse épouvante, escaladent de nouveau le