Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les reproches ne l’ébranlent pas ; (4, 440) les destins l’ont endurci ; un dieu bouche les oreilles du sensible Énée. Tel un chêne au cœur robuste est battu deçà et delà par les aquilons des Alpes, qui s’efforcent de le déraciner ; ils accourent en sifflant ; le tronc est ébranlé, et les feuilles dispersées jonchent au loin la terre : mais l’arbre demeure ferme sur son roc ; et autant sa tête s’élève dans les airs, autant ses racines plongent dans le noir Tartare. Ainsi le héros est assailli de tous côtés par les prières et les sanglots ; son âme en ressent les profondes secousses, mais ne s’en ébranle pas ; et autour de lui coulent vainement les larmes.

(4, 450) Alors la malheureuse Didon, épouvantée de sa destinée, appelle la mort ; elle est lasse de voir la voûte des cieux. Tout la pousse à quelque dessein funeste ; tout la dégoûte de la lumière : voici qu’apportant ses offrandes sur les autels, elle voit, ô prodige affreux ! la liqueur sacrée devenir noire, et le vin des libations se changer en un sang abominable. Elle ne dit à personne, pas même à sa sœur, cette vision effrayante. Il y avait dans son palais un temple de marbre consacré aux mânes de son premier époux, et que, dans son zèle pieux et magnifique, elle parait sans cesse des plus blanches toisons et de fraîches guirlandes de feuillage. (4, 460) Il lui semble, à l’heure où la nuit enveloppe la terre de son ombre, qu’elle entend s’échapper du sanctuaire des cris étranges, et la voix de son époux qui l’appelle. Souvent aussi le hibou, seul au sommet de son palais, redit sa plainte funèbre, et traîne en longs gémissements sa voix prophétique. D’anciennes et terribles prédictions, d’épouvantables avertissements des dieux, la glacent d’horreur : Énée lui-même, le cruel Énée la poursuit dans ses songes enflammés ; et il lui semble qu’elle est toujours seule et laissée à elle-même, qu’elle erre seule et sans suite sur une longue route, qu’elle cherche ses Tyriens à travers de vastes solitudes. Ainsi Penthée dans ses fureurs voit accourir à lui cent Euménides, (4, 470) et deux soleils dans les cieux, deux Thèbes lui apparaître à la fois. Ainsi sur nos théâtres le fils d’Agamemnon, Oreste, se démène agité par les Furies, alors qu’il fuit sa mère armée de torches flamboyantes et de noirs serpents, et qu’il voit s’asseoir et l’attendre au seuil du temple les divinités vengeresses.

Quand donc, vaincue par la douleur, elle se fut donnée aux Furies, et qu’elle eut résolu de mourir, elle avise en elle-même au temps et à la manière de se délivrer de la vie : alors composant son visage pour mieux cacher son dessein, et rappelant sur son front la sérénité et l’espérance, elle aborde sa triste sœur, et lui dit : « Félicite-moi, ma sœur ; j’ai trouvé le moyen de ramener à moi l’infidèle, ou de me dégager moi-même de mon amour. (4, 470) Aux extrémités de l’Océan, là où le soleil s’abîme dans les flots, s’étendent les régions les plus reculées de l’Éthiopie ; c’est là que le grand Atlas soutient sur ses épaules l’axe resplendissant des cieux étoilés. De là est venue jusqu’en nos contrées une prétresse de la nation des Massyliens, gardienne du temple des Hespérides : elle-même nourrissait de miel liquide et de pavots assou-