Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/322

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bancs, sur les rames, sur les poupes peintes des galères.

Eumélus court au tombeau d’Anchise et jusqu’au cirque porter la nouvelle de l’incendie des vaisseaux ; les Troyens eux-mêmes tournent les yeux du côté de la flotte, et voient voltiger dans les airs de noirs tourbillons. Ascagne le premier, avec la même ardeur qu’il avait à conduire son jeune escadron, pousse son coursier vers le camp en alarme, et ses gouverneurs hors d’haleine ne peuvent retenir le bouillant jeune homme. (5, 670) « Malheureuses, s’écrie-t-il, quelle est donc cette fureur étrange ? où donc, ou donc allez-vous ? Ce n’est pas la flotte, ce n’est pas le camp des Grecs, ce sont vos espérances que vous brûlez : reconnaissez-moi, je suis votre Iule. » Il dit, et jette à ses pieds le casque qui couvrait son front dans ces jeux, vains simulacres de guerre. Énée accourt aussi, et les Troyens, tous ensemble. À la vue du héros, les Troyennes effrayées s’enfuient çà et là sur le rivage ; elles gagnent furtivement les forêts et les creux des rochers, et vont y cacher leur honte et leur funeste délire : leur cœur est changé ; elles ont reconnu leurs concitoyens, et elles ont secoué l’esprit de Junon. (5, 680) Cependant l’incendie n’a rien perdu de sa force indomptable ; sous le bois humide des navires, il vit alimenté par l’étoupe, qui pousse au dehors une épaisse fumée ; une lente vapeur mine les carènes, et le fléau destructeur descend dans leurs cavités les plus profondes. Rien ne peut arrêter l’embrasement, ni l’effort des bras, ni les torrents d’eau. Alors le pieux Énée de douleur déchire ses vêtements, appelle les dieux à son secours, et, levant les mains au ciel : « Puissant Jupiter, s’écrie-t-il, si vous ne haïssez pas encore les Troyens jusqu’au dernier, si vos antiques bontés pour Ilion vous font prendre en pitié les malheurs des mortels, arrachez notre flotte à la flamme ; (5, 690) sauvez, père des humains, sauvez de la ruine ces faibles restes de Troie : ou, si je suis coupable, achevez, et, vous armant de votre foudre vengeresse, précipitez-moi dans les ombres de la mort, écrasez-moi de votre main tonnante. » II priait encore, quand un noir orage, s’élevant tout à coup, éclate avec furie, et se répand en pluie immense ; les monts et les vallées tremblent sous les coups redoublés du tonnerre ; le ciel entier se fond en torrents impétueux, que noircit encore le souffle serré de l’Auster : l’eau remplit les navires débordés, et trempe leurs bois à demi-brûlés : enfin toute vapeur ardente s’éteint ; quatre galères seulement succombent, et la flotte est sauvée de l’incendie.

(5, 700) Cependant Énée, ébranlé par ce cruel revers, était encore combattu d’immenses soucis et de mille desseins inquiets. Doit-il se fixer dans les champs siciliens, y oubliant ses destins glorieux ? Ira-t-il s’emparer de la rive italienne ? Enfin le vieux Nautès, que Pallas elle-même a instruit, et rendu habile entre tous dans sa science divine, explique au héros les grandes colères des dieux, leurs menaces formidables, l’éternel enchaînement des destins, et le console par ces paroles : « Fils de Vénus, suivons le flux et reflux