Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/422

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les forces d’un peuple que j’ai deux fois vaincu, et ravale les armes des Latins. Maintenant voilà que les capitaines des Grecs, que Diomède, qu’Achille de Larisse ont tremblé devant les armes phrygiennes. Vous verrez que l’Aufide en a reculé, ramenant ses eaux du sein des ondes adriatiques. À l’entendre, l’imposteur artificieux, il feint de s’épouvanter de mes menaces, et ce n’est que pour me faire mieux haïr. Cesse de trembler, Drancès ! ce bras ne t’ôtera jamais ta vile âme ; qu’elle demeure en toi, et dans ce corps aussi vil qu’elle.

(11, 410) « Maintenant, grand roi, je reviens à vous et au grave objet sur lequel vous nous consultez. Si vous n’avez plus aucune confiance en nos armes, si nous sommes si abandonnés qu’on le dit, si une première déroute nous a anéantis, si pour nous la fortune n’a pas de retour, implorons la paix, et tendons au Troyen des mains désarmées. Que dis-je ? ah ! s’il nous restait quelque ombre de notre ancienne vigueur… Oui, je dirais que celui-là est un noble cœur et heureux entre tous, qui, pour ne pas voir une telle infamie, est tombé mourant sur le champ de bataille, et a mordu une dernière fois la poussière. Mais si nous avons encore des ressources, si notre jeunesse est encore entière, (11, 420) s’il nous reste le secours des villes et des peuples de l’Italie ; si les Troyens ont payé leur gloire par des flots de sang, s’ils ont aussi leurs morts à pleurer, et si la même tempête nous a tous écrasés, vainqueurs et vaincus ; pourquoi manquer lâchement de cœur à l’entrée de la carrière ? pourquoi frissonner de peur avant que n’ait retenti la trompette ? Le temps, la pénible et changeante succession des jours a réparé bien des ruines : que de mortels, jouets de la fortune, elle a quittés tour à tour et de nouveau visités, et qu’enfin elle a établis dans un solide bonheur ! Nous n’aurons pas le secours de l’Étolien et d’Arpos ; mais nous avons avec nous Messape, l’heureux Tolumnius, et (11, 430) tant d’autres capitaines que nous ont envoyés les peuples d’Italie ; et la gloire ne tardera pas à suivre les drapeaux d’élite du Latium et des champs laurentins : n’avons-nous pas aussi Camille, de la noble nation des Volsques ? Vous l’avez vue à la tête de ses cavaliers ; vous avez vu ses escadrons resplendissants d’airain. Si les Troyens m’appellent seul au combat, si le défi vous plait, et si je suis le seul obstacle au bien commun ; la victoire ne me hait pas tellement, et ne s’est pas déjà tant échappée de mes mains, pour que je manque à d’aussi magnifiques espérances en n’osant pas tenter un grand coup. Je marcherai avec mon courage contre le Phrygien, l’emportât-il sur le grand Achille, et dût-il, comme lui, revêtir des armes forgées par Vulcain lui-même. (11, 440) Cette vie, Turnus, qui ne veut le céder en valeur à aucun de ses ancêtres, vous la donne à vous et à Latinus son beau-père. C’est moi seul qu’Énée défie : eh bien ! qu’il me défie, c’est ce que je demande. Ce n’est pas à Drancès, si nous avons contre nous les dieux irrités, à les satisfaire par sa mort ; et s’il y a là de l’honneur et de la gloire à gagner, ce n’est pas à Drancès à me les enlever. »

Tandis que ces orageux débats agitaient les esprits du Latium en péril, Énée levait son camp