Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/462

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cles ; si déjà la sagesse avait marqué ma place dans ces sphères sublimes que se partagent les quatre héritiers antiques de Socrate, cimes radieuses d’où j’abaisserais au loin mes regards sur le vaste univers, sur les humains perdus dans de fausses routes, et prendrais en pitié les basses pensées de leurs cœurs : ah ! ce n’est point par un si faible hommage que je t’honorerais, toi, si grand. Non, non ! bien qu’il nous soit permis de badiner quelquefois, (20) et d’enfermer de petits vers dans une douce mesure. Mais je t’envelopperais, si je puis le dire, dans les plis du voile le plus ample. Tu sais ce magnifique tissu porté jadis à travers la ville d’Erechthée, quand tous payaient la dette sacrée de leurs vœux à la chaste Minerve ; en ces jours qui voient se clore le lustre, et revenir lentement les Quinquatries, au temps où frémit le souffle incessamment alterné de l’Eurus et du léger Zéphyre, qui, penché sur son char, en précipite la course par son poids. Jour heureux ! heureuse année ! et vous, heureuses générations qui avez vu cette belle année, ce beau jour ! Le tissu sacré déroule une à une les grandes luttes de Pallas ; (30) il déploie avec ses vastes plis les trophées conquis sur les Géants ; les horribles combats s’y confondent avec la sanglante écarlate ; on y voit Typhon qui tombe renversé, par la lance d’or, Typhon, qui naguère, se faisant avec les blocs entassés de l’Ossa une route vers les cieux, doublait le haut Olympe de toute la hauteur des cimes émathiennes. Eh bien ! ce voile qu’ils portent aux autels de la déesse en ce solennel anniversaire, je voudrais, ô le plus docte des jeunes gens, t’en dédier un pareil ; et là, entre le soleil aux feux pourprés, et la lune à la blanche lumière, qui voit son orbe emporté par deux coursiers d’azur, je voudrais mêler tes traits à ce grand dessin de la Nature ; (40) je voudrais que ton nom, à jamais uni au nom de la philosophie, fût redit par mes pages retentissantes aux siècles les plus reculés.

Mais puisque je ne fais que naître pour ces hautes sciences, et que mes muscles encore tendres commencent à peine à se fortifier, accepte, en attendant mieux, ce que je puis t’offrir, la première ébauche où se consumèrent mes premiers ans, léger tribut de mes veilles laborieuses, humble prélude d’une grande histoire, celle de ta vie. Tu vas voir l’impie Scylla épouvanter le monde par d’immenses prodiges, prendre son essor dans les airs, et se mêler à d’innombrables troupes d’oiseaux inconnus, (50) et, s’élevant d’un vol léger jusqu’aux astres, agiter sur son toit natal ses ailes azurées ; long supplice qu’elle souffre pour avoir, fille barbare, tranché le fatal cheveu d’écarlate, et détruit de fond en comble la ville de son père.

Bien des poëtes (et il faut le dire, Messala, puisque Polymnie aime la vérité) prétendent qu’une tout autre forme déguise sa forme première : C’est, disent les uns, ce monstre qui est devenu l’écueil de Scylla ; c’est cette Scylla que nous voyons souvent, dans les lamentables traverses d’Ulysse, étaler sur ses flancs d’albâtre sa ceinture de chiens hurlants, (60) harceler les navires de Dulichium, saisir les matelots au sein des vagues profondes, et les déchirer avec ses gueules