Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/464

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(110) Alors Mégare était désolée par la flotte dévastatrice de Minos, de tous les rois le plus puissant par les armes : Polyide, son aïeul, fuyant la mer Carpathienne et les flots du Cérate, s’était abrité sous le toit hospitalier de Nisus ; le héros de Gortyne réclamait Polyide les armes à la main ; et les flèches crétoises couvraient les campagnes athéniennes. Mais ni les citoyens de Mégare, ni le roi lui-même, ne redoutent de porter leurs escadrons volants vers les murs infestés par l’ennemi, et de rabattre son orgueil par une indomptable valeur ; c’est assez qu’ils se souviennent de la réponse des dieux. (120) Sur la tête du roi, qu’ombrageait une blanche chevelure et que ceignait le verdoyant laurier, brillait, ô merveille ! un cheveu rose ; il se dressait au plus haut de la royale tête, et, tant qu’il devait subsister, la patrie et le trône de Nisus devaient se maintenir fermes ; les Parques, toujours unanimes, avaient confirmé l’oracle par leur volonté immuable. Dès lors tous les soins se concentrèrent sur ce cheveu chéri ; et l’agrafe d’or de Mopsopie le retenait toujours luisant sous sa fine dent de cigale. Enfants de Mégare, ces tendres veilles n’eussent point été vaines, (130) et ne le seraient pas encore, si tout à coup, prise de nouvelles fureurs, Scylla, Scylla, qui va creuser la tombe de son malheureux père et de sa patrie, n’eût dévoré Minos de ses beaux yeux, hélas ! trop avides. Mais ce cruel enfant dont les inflexibles colères résistent à sa mère, résistent au maître de l’Olympe, son père et son aïeul ; qui dompte jusqu’aux lions de la Libye, qui apprend au tigre à adoucir son féroce courage, qui subjugue les dieux, les hommes ; cet enfant (prononcerai-je cette parole téméraire ?) souffle la sombre vengeance au cœur de la grande Junon, de Junon que (140) nulle jeune fille ne se souvient longtemps d’avoir parjurée. Un jour Scylla viola son temple à l’étourdie : elle vaquait aux cérémonies saintes : folâtre, elle devançait la longue file des matrones et de leurs suivantes, et se plaisait à voir se jouer autour de ses flancs sa robe flottante, dont elle abandonnait les plis gonflés au souffle de l’aquilon. La chaste flamme n’avait pas encore relui dans les foyers agités ; la prêtresse n’avait pas encore purifié ses mains par l’onde solennelle, ni paré sa tête du pâle feuillage de l’olivier. Tout à coup des mains de Scylla s’échappe une boule ; (150) Scylla s’élance. Ah ! si elle n’eût pas, trahie par le jeu, laissé tomber de ses épaules d’albâtre sa légère palla, et tous ces plis ondulants qui peuvent suspendre ou retenir une course rapide ! Ah ! Scylla, que ne restèrent-ils collés à ton corps charmant ! Ta main n’eût point profané le sanctuaire de la déesse, et tu n’eusses point par tes infortunes expié le plus grand des sacrilèges. Mais ce crime n’a pas été la vraie cause de tes malheurs ; non, la cause en fut plus touchante : Junon a craint de te laisser voir à son frère ; mais le dieu léger, qui, lorsqu’il veut se venger, cherche quelque offense dans le plus innocent propos, (160) tira de son luisant, hélas ! trop luisant carquois, des flèches