Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/465

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(ce sont flèches d’Hercule), qu’il plongea toutes dans le cœur de la tendre vierge.

Déjà ses veines altérées ont bu la flamme, et une indomptable fureur a pénétré ses os jusque dans la moelle. Comme la cruelle Bistonienne sur le rivage glacé des Cicones, comme la prétresse de Cybèle enlevée par les sons du buis barbare, la déplorable vierge s’emporte, bacchante insensée, à travers la ville. Le styrax de l’Ida ne colore plus sa chevelure embaumée ; ses pieds délicats rejettent la chaussure sicyonienne ; (170) son cou blanc comme la neige ne retient plus la perle pendante ; ses pieds chancellent, sa démarche est incertaine. Cent fois, près de se trahir, elle monte et remonte sur les remparts de Mégare, et prétexte le désir de voir ces tours qui se perdent dans la nue. Cent fois aussi la nuit, exhalant des plaintes douloureuses, elle contemple, du haut du palais, les amours qui sont aux cieux, et regarde au loin ce camp où brillent mille feux allumés. La quenouille, elle ne la connaît plus ; l’or, qui lui était si cher, elle le dédaigne ; sous ses doigts ne résonne plus la corde harmonieuse du luth ; la navette libyenne ne frappe plus les fils frémissants des molles étoffes. (180) Plus de rougeur sur son front ; la rougeur ne convient pas à l’amour. C’en est fait : pour elle, il n’est plus de remède à de si grands maux ; elle sent la mort se glisser dans ses entrailles lentement consumées. Là où la douleur l’appelle, là où l’entraînent les destins, elle vole ; un horrible et invisible aiguillon la pousse, la précipite. Que va-t-elle faire, l’insensée ?... Enlever furtivement de la tête de son père le fatal cheveu, et envoyer cette chère dépouille à l’astucieux ennemi : car c’est le seul parti qui s’offre à elle, l’infortunée ! ou peut-être ne sait-elle ce qu’elle fait. Quel noble cœur ne croirait pas tout d’une jeune fille, plutôt que de l’accuser d’un si grand crime ? (190) Mais qu’importe sa triste ignorance ? Que tu es malheureux, ô son père, ô Nisus, toi qui vas voir ta ville impitoyablement saccagée, et à qui il restera à peine, au faite d’une de tes tours une pierre où construire ton nid, où abriter ta vieillesse fatiguée. Et toi aussi tu mourras oiseau ! et le père châtiera sa fille. Réjouissez-vous, oiseaux rapides, vous que portent les nues élevées, légers habitants des mers, des vertes forêts, des bois sonores ; réjouissez-vous, oiseaux vagabonds, doux enfants de l’air ; et vous encore plus, vous que la loi cruelle des destins a dépouillées des formes humaines, filles (200) de la Daulide : voici qu’un aussi cruel arrêt augmente votre nombre et la troupe ailée des rois ; voici venir parmi vous une royale lignée, Ciris chérie de vous et de son père. Ô vous, autrefois si belles sous la forme humaine, fendez les airs, devancez les nuages d’azur ; volez jusqu’où monte l’Haliéète, jusqu’aux demeures des immortels, jusqu’où va l’éblouissante Aigrette, en prenant possession des splendeurs éthérées.

Cependant le doux sommeil enchaînait les paupières de Nisus, et les sentinelles qui veillaient au loin, aux premières portes, faisaient parade d’un vain zèle. Scylla descend furtivement de sa couche solitaire ; (210) l’oreille inquiète,