Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/468

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fatal que tu viens de prononcer n’avait pas encore déchiré mes oreilles. Toi aussi, la fortune t’a donc ravie à mon amour ; toi, qui seule rendais la vie encore douce à ma vieillesse ! Souvent charmée par la trompeuse image de ton doux sommeil, lorsque l’univers semblait m’accabler, je n’ai plus voulu mourir, afin de teindre pour toi le flammeum des sucs de l’herbe corycienne. À quoi maintenant me réservent les dieux ? Et ces dieux, qui sont-ils ? (319) Ignores-tu par quelle loi la pourpre, se dressant sur la tête de ton père, borde ses cheveux blancs ? Ignores-tu quelles espérances de la patrie sont suspendues à un seul et frêle cheveu ? Si tu l’ignores, tout peut être sauvé, puisque ce n’est pas avec connaissance que tu aurais médité un aussi exécrable forfait. Mais s’il en est comme je le crains, eh bien, mon enfant chérie, par mon nom, par cet amour qui te ronge et dont j’ai fait tant de fois la douloureuse expérience, par la sainte puissance d’Ilithye, je t’en conjure, ne te laisse pas aller d’un si facile mouvement à un si grand attentat. Je n’essaye point de te détourner d’un amour naissant, j’y serais impuissante ; et ce n’est pas à nous à lutter contre les dieux. (330) Je voudrais te voir unie à ton amant, sans que le trône de ton père croulât. Ô ma Scylla, je voudrais que tu conservasses des pénates. L’infortune m’a éprouvée et instruite ; écoute ce seul conseil. Que si tu ne peux par aucun autre moyen fléchir ton père (mais tu le fléchiras ; que ne pourrais-tu sur lui, toi, son unique enfant ?), alors tu auras pour toi le droit de la piété filiale ; alors le moment sera venu pour toi de t’irriter, et d’en appeler à une juste violence. Remets à ce temps tes résolutions, tes entreprises. Alors, ô mon enfant, je te promets de te seconder de concert avec les dieux : rien n’est long, si l’on suit le cours des choses. »

(340) Ces paroles ont un peu calmé l’orage qui bouleverse l’âme de Scylla ; et la douce espérance a triomphé de ce cœur malade. Alors la tremblante Carmé ramène peu à peu sur les joues de la jeune fille les doux tissus, et, pour retrouver le calme en rappelant les ténèbres, elle retourne la lampe, où meurt soudain la lumière avide d’huile ; puis portant la main sur ce sein, qui par ses bonds précipités marque au dehors son tumultueux délire, elle adoucit par d’incessantes caresses cette poitrine que soulève l’amour. Durant toute cette nuit, la triste nourrice, appuyée sur son coude près de son enfant qui se meurt, veilla, la paupière suspendue et tremblottante.

(349) Le lendemain, quand la riante et matinale Aurore, venue des froides cimes de l’Œta, a secoué les feux du jour, du jour qui nourrit les mortels, du jour que redoutent et désirent tour à tour les jeunes filles (car elles redoutent Vesper, et désirent les ardeurs du soleil), la vierge se soumet aux leçons de sa nourrice, et se tourmente à chercher mille causes qui amènent pour elle le moment de l’hymen. Des mots insinués tout bas à l’oreille de Nisus soudent le cœur d’un père. Que de fois Scylla lui vante les douceurs de la paix bienfaisante ! que de propos étranges errent sur les lèvres novices de la trop