Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/469

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simple jeune fille ! Tantôt elle lui dit que les hasards d’une guerre de plus en plus pressante la font trembler ; qu’elle craint la déesse qui rend égales pour tous les chances des batailles : (360) n’a-t-elle pas eu peur cent fois de survivre, triste orpheline, à son père ? Tantôt ce sont de nobles amis du roi qui donnèrent le nom de petits-fils à des petits-fils de Jupiter ; tantôt, habile à mentir, elle imagine des fraudes honteuses, remplit d’épouvante les citoyens qu’elle dit abandonnés des dieux, enchaîne les présages aux présages ; et jamais les présages ne manquent. Elle ose même corrompre les irréprochables devins ; et quand la victime tombe abattue par le fer sacré, des voix prophétiques annoncent que les entrailles montrent dans Minos un allié, un gendre, et veulent qu’on cesse des combats incertains.

(369) Cependant la nourrice, étendant sur un plat d’argile le narcisse et la cannelle mêlés de soufre, livre à la flamme ces herbes odoriférantes, et unit trois fois par un triple nœud trois fils tricolores. « Jeune fille, dit-elle, fais comme moi : crache dans ton sein trois fois ; les dieux aiment le nombre trois. » Ensuite elle offre deux fois au grand Jupiter les sacrifices qu’on offre au maître du Styx, sacrifices que ne connaissent ni les vieillards de l’Ida, ni ceux de la Grèce. Enfin elle asperge l’autel avec la branche amycléenne ; elle veut percer l’âme du roi de ses imprécations, renouvelées d’Iolcos. Mais nul artifice n’ébranle l’inébranlable Nisus ; (380) ni les dieux, ni les hommes ne peuvent le fléchir ; tant il a de confiance en ce frêle cheveu, s’il le sait bien garder ! Alors Carmé s’associe à l’entreprise désespérée de sa seconde fille, et s’apprête à trancher le cheveu de pourpre : c’est venir en aide au long amour de son enfant. Elle se réjouit aussi à l’espérance d’être ramenée vers les murs crétois ; car la patrie est douce à la cendre qui y repose.

Scylla donc a juré haine à la tête de son père : alors le fer tranche ce cheveu où étincelait la pourpre de Tyr ; alors Mégare est prise, et les oracles des dieux se confirment. Mais aussi, par une nouvelle coutume, Scylla, suspendue au mât des navires, (390) apparaît entraînée sur les flots d’azur. Les Nymphes en foule l’admirent, du sein des ondes ; le vieil Océan s’émerveille, et la blanche Téthys, et Galatée qui traîne à sa suite ses sœurs curieuses ; et celle qui mesure le vaste espace des mers tantôt avec ses dauphins attelés, tantôt sur le char glauque qu’emportent des capricornes, Leucothoé, déesse et mère, qu’accompagne l’enfant Palémon. Les deux héros que le sort rend tour à tour à la lumière, ces fils bien-aimés, ces nobles rejetons de Jupiter, les Tyndarides admirent la jeune fille, et ce corps d’une charmante blancheur. (400) Elle, poussant dans les airs des cris lamentables, exhalait au milieu des flots sa plainte inutile, et levait au ciel, la malheureuse, des yeux étincelants… des yeux ; car des chaînes étreignaient ses tendres mains.

« Retenez un peu, ô vents furieux, retenez vos haleines ; que je me plaigne, et que les dieux, en vain adjurés par moi, entendent