Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/484

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Églogue VII. (IX d’après M. Désaugiers.)

Dans cette églogue, où chantent deux bergers, rien n’indique dans quel temps elle a été faite. On aurait pu conjecturer, avec assez de fondement, que, n’ayant été rappelée dans aucune des précédentes, elle a été une des dernières, et conséquemment la neuvième : c’est en effet la place que Virgile a pris soin de lui marquer.

v. 27. Aut, si ultra placitum laudarit, baccare frontem Cingite, ne vati noceat mala lingua futuro. Une louange outrée, telle que la craint le berger, était regardée chez les anciens comme une espèce de fascination qui pouvait arrêter l’essor des jeunes talents, et c’est pour être préservé de ce maléfice qu’il demande à être couronné de baccar. Cette plante, que Virgile nomme pour la seconde fois dans ses églogues, avait de son temps la réputation de conjurer les effets des enchantements. Elle est entièrement ignorée de nos botanistes, et le nom ne s’en trouve même pas dans nos dictionnaires d’histoire naturelle.

v. 41. Immo ego Sardois videar tibi amarior herbis. Servius nous apprend, sur l’autorité de Salluste, que certaines herbes de Sardaigne excitaient chez ceux qui en mangeaient de fortes douleurs avec des contractions de nerfs, qui donnaient aux traits l’apparence d’un rire convulsif, d’où est venue l’expression de rire sardonique. Le malade en mourait. Ces herbes ne sont pas plus connues aujourd’hui que le baccar.


Églogue VIII.

Cette églogue est dédiée à Pollion, quoiqu’il n’y soit point nommé. Il avait été chargé l’an 715 d’une expédition contre les Parthins, peuple de l’Illyrie, qui avait pris parti dans la guerre civile pour Brutus et Cassius. À son retour, au mois de novembre, il obtint les honneurs du triomphe. Horace, dans la Ire ode de son 2e livre, fait mention de ces honneurs, ainsi que des belles tragédies de Pollion, dont Virgile va parler.

v. 11. A te principium ; tibi desinet : accipe jussis Carmina cæpta tuis. Virgile rappelle ici à Pollion l’hommage qu’il lui a rendu dans sa seconde églogue, où six vers lui sont consacrés ; et peut-être aussi l’églogue précédente, qui lui est dédiée comme celle-ci. Il nous apprend en même temps par le second de ces vers que Pollion l’avait engagé à traduire la Pharmaceutrie de Théocrite, une de ses plus belles idylles. Notre poëte en a fait la seconde partie de cette églogue. La première est composée d’autres imitations de Théocrite.

v. 16. Incumbens tereti Damon sic cæpit olivæ. Tereti olivæ peut s’entendre de deux manières : ou c’est une boulette de bois d’olivier, ou c’est l’olivier même contre lequel Damon est appuyé. Le P. Larue, Bourgeois et Heyne admettent l’un et l’autre sens. Le traducteur anglais Warton, cité par Heyne, a adopté, comme moi, le dernier :

Against an olive’s trunk reclin’d.


Églogue IX. (IV d’après M. Désaugiers.)

Cette églogue, celle où Virgile nous occupe le plus de lui-même, mérite de fixer notre attention par les détails qu’elle contient. Elle est, dans l’ordre de la composition, la quatrième. Quoique tous les commentateurs, sans exception, l’aient placée après celle de Tityre, il sera démontré qu’elle l’a précédée.

Il est nécessaire de rappeler les faits auxquels elle se rapporte.

Après la bataille de Philippes, qui anéantit le parti républicain, Octave, revenu en Italie vers la fin de l’an 712, procéda aussitôt à la distribution des terres promises aux soldats vétérans.

Ce fut probablement alors que le triumvir connut, par les soins de Pollion, les trois premières églogues ; et le succès en fut complet, puisque l’on voit dans celle-ci que le poëte avait reçu la promesse de n’être point inquiété dans sa propriété. Il devait d’autant plus être rassuré, que Mantoue et son territoire n’étaient point compris dans les confiscations ordonnées. Mais les vétérans, non contents des dix-huit villes opulentes qui leur avaient été abandonnées avec leurs territoires, se jetèrent sur celui de Mantoue. Le petit domaine du poëte fut envahi, et lui-même obligé de prendre la fuite. Il se rendit aussitôt à Rome. Ce dut être au commencement de l’année 713. Appien dit qu’à cette époque Rome était remplie de propriétaires de tout âge et de tout sexe, qui venaient réclamer contre de pareilles spoliations.

C’est en attendant sa présentation à Octave qu’il fit à Rome cette nouvelle églogue. Le P. Larue la regarde avec raison comme une espèce de placet adressé à Varus, pour appeler sa protection sur le domaine qu’il avait été obligé d’abandonner.

v. 7. Certe equidem audieram…… Omnia carminibus vestrum servasse Menalcan. On voit par ce passage que Virgile avait reçu l’assurance d’être protégé, et qu’il la devait à ses talents poétiques, carminibus, c’est-à-dire à ses trois premières églogues, qui lui avaient mérité la bienveillance d’Octave. Ce n’était point encore la décision par laquelle ce triumvir lui fit rendre, plus tard, son patrimoine usurpé, mais une simple promesse de protection, alors suffisante, puisque le territoire de Mantoue avait été excepté des confiscations militaires.

v. 27. Vare, tuum nomen (superet modo Mantua nobis, Mantua væ miseræ nimium vicina Cremonæ !) Cantantes sublime ferent ad sidera cycni. C’est pour renfermer et accompagner ces trois vers que toute l’églogue a été faite : en demandant à Varus de préserver Mantoue du sort de la malheureuse Crémone, qui avait été saccagée par les soldats, il appelait indirectement l’intérêt et les soins de Varus sur son domaine. Ces expressions, superet modo Mantua nobis, disent bien que Mantoue n’avait pas été dévolue aux vétérans.

Virgile prend ici envers Varus un engagement qu’il remplira dans la sixième églogue.

v. 46. Daphni, quid antiquos signorum suspicis ortus ? Ecce Dionæi processit Cæsaris astrum. Un passage de Suétone, dans la vie d’Auguste, donne l’explication de ces vers :

« Pendant les jeux qu’Auguste célébra pour l’apothéose de César, une comète chevelue brilla pendant sept jours. Elle paraissait vers la onzième heure du jour (cinq heures du soir), et l’on crut que c’était l’âme de César reçue dans les cieux. »

« C’est pour cela, continue Suétone, qu’il est toujours représenté avec une étoile au-dessus de la tête. »

v. 59. … Namque sepulcrum Incipit adparere Bianoris… Bianor, qui avait aussi le nom d’Ochnus, était regardé comme le fondateur de Mantoue. Son tombeau était sur la grande route, suivant l’usage observé par les anciens pour les monuments des personnages importants. On trouve encore de ces tombeaux antiques sur les grands chemins d’Italie.

v. 67. Carmina tum melius, cum venerit ipse, canemus. Ménalque, dont on attend le retour, n’étant autre que Virgile, alors à Rome, ce vers prouve que c'est dans cette ville qu'il a fait l'églogue.