Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/504

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nobles cœurs ! les doux embrassements de vos pères vous attendent au retour. » Il dit, et verse des larmes ; car la flamme lui présageait aussi qu’il ne reverrait plus Argos.

(1, 240) Aussitôt Jason s’écrie : « Compagnons, si telle est la volonté des dieux, s’ils encouragent ainsi notre espoir, ayez la valeur et l’audace de vos aïeux. Pour moi, j’absous de sa tendresse le despote thessalien ; je ne suspecte plus sa bonne foi. Ici, c’est un dieu qui parle ; c’est un dieu qui ordonne. Jupiter veut que le négoce et les entreprises des hommes unissent entre elles toutes les parties de son univers. Suivez-moi donc, amis ; conquérez au prix des hasards ce qui fera un jour le charme de nos vieux ans et le tourment de nos neveux. (1, 250) Cependant, passons la nuit prochaine sur le rivage, dans les jeux et les doux entretiens. » On obéit ; chacun s’étend sur l’algue molle ; parmi eux, on distingue surtout le héros de Tirynthe. Les serviteurs apportent les viandes fraîchement débrochées, et des corbeilles de pain.

Soudain Chiron descend des sommets du Pélion, portant Achille, dont les cris appellent son père. Au son de cette voix bien connue, Pélée se lève, et s’avance à grands pas. Il ouvre ses bras à son fils, qui s’y précipite, et reste longtemps suspendu à cette tête si chère. (1, 260) Ce ne sont pas les coupes écumantes d’un vin généreux, ni leurs admirables sculptures, qui l’intéressent et le captivent : ce qui l’étonne, ce sont les guerriers ; il savoure le récit pompeux de leurs exploits ; il est tout yeux pour la peau du lion néméen. Pélée, qui le tient dans ses bras, le couvre de baisers ; et regardant le ciel : « Si vous voulez, dit-il, que Pélée s’embarque exempt d’inquiétude, et souhaite des vents favorables, dieux, veillez sur cette tête. Toi, Chiron, fais le reste. Que l’enfant t’écoute avec admiration lui parler de guerre et du bruit des clairons ; qu’à la chasse et sous tes auspices, il porte les armes proportionnées à son âge, (1, 270) et qu’il aspire bientôt à manier ma lance. »

Ce discours redouble l’ardeur des Argonautes : ils brûlent de s’élancer sur les flots. Déjà la toison est à eux ; Argo revient triomphant et la poupe dorée. Mais le soleil est à son déclin ; tout le jour s’est écoulé dans l’allégresse, et pour la première fois des feux indiquant la terre au navigateur sont allumés çà et là sur le rivage ; la nuit est venue. Le poëte de Thrace en charme la durée par les doux accords de sa lyre. Il dit comment Phrixus, le front ceint de bandelettes, et près d’être immolé, fuit, sous un nuage protecteur, les injustes autels, (1, 280) laissant Athamas assouvir sa rage sur son fils Léarque, et comment le bélier à la toison d’or le porta sur les flots attendris, avec Hellé suspendue aux cornes de l’animal. Sept fois l’Aurore avait reparu, sept fois la Lune avait traversé les ombres ; déjà Sestos, vue de près, cessait de paraître confondue avec Abydos, lorsque Hellé, vainement échappée aux fureurs d’une marâtre, abandonne son frère, léguant au détroit son impérissable nom.