Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/515

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aux ordres de Jupiter, avez couru glorieusement la carrière de la vie, vous dont j’ai connu les noms aux camps, dans les conseils, (1, 790) et que la renommée a divinisés parmi vos illustres descendants ; et toi, mon père, qui as quitté le séjour des ombres, pour être témoin de ma mort et souffrir ici des douleurs que tu avais oubliées, ouvrez-moi l’asile de l’éternel repos, et que cette victime qui me précède m’en aplanisse le chemin. Vierge qui dénonces les crimes à Jupiter, et qui vois tous les humains d’un œil impartial ; divinités vengeresses, Justice, Tisiphone la plus terrible des Furies, entrez dans le palais du roi ; portez-y vos torches dévorantes ; que la peur égare ce tyran farouche ; qu’il pense déjà voir non-seulement mon fils qui le poursuit (1, 800) de son glaive, et son vaisseau triomphant, mais aussi les flottes, les étendards de la Scythie et les rois du Pont indignés qu’on ait violé leurs rivages ; qu’il ne cesse de courir en tremblant vers la mer, de crier aux armes ; que la mort ne vienne pas trop tôt lui ouvrir un refuge contre ses terreurs, ni le soustraire à mes imprécations ; mais qu’il soit témoin du retour des Argonautes ; qu’il les reconnaisse à l’éclat de la toison : je serai là pour l’insulter, pour battre des mains, pour triompher à sa face. Et s’il est quelque trame mystérieuse, quelque attentat inouï, quelque mort inconnue, qu’il y succombe honteusement, le perfide vieillard ; (1, 810) qu’il en soit flétri jusque dans la tombe. Que ni la guerre, ni le fer d’un ennemi ; que jamais surtout, je vous en conjure, l’épée de mon fils ne verse son indigne sang ; qu’il soit massacré par les siens, déchiré par les mains les plus chères, et qu’on ne puisse pas même ensevelir ses débris. Qu’il expie ainsi, ce roi, et ma mort, et les maux, hélas ! de tous ceux qu’il a poussés sur les flots ! »

Soudain accourt la plus terrible des Furies, tenant deux coupes fumantes du sang du taureau. Éson et son épouse les saisissent, et en boivent avec avidité la liqueur.

Un bruit s’élève ; bientôt, l’épée nue, se précipitent les satellites de Pélias, (1, 820) exécuteurs de ses ordres barbares. Ils voient les vieillards se débattre entre la vie et la mort, celle-ci peser déjà sur leurs paupières, et le sang rejeté inonder leurs vêtements ; alors c’est contre toi qu’ils tournent leur rage, enfant qui entres à peine dans la vie, qui ne comprends de tout ce spectacle et ne vois, pâle d’effroi, que la mort des tiens ; c’est toi qu’ils envoient les rejoindre. Éson, près d’expirer, en frémit d’horreur, et le ressentiment le suit jusqu’au séjour des ombres.

Sous l’axe de la terre, et sans nul contact avec le monde supérieur, est le Tartare, empire de Pluton. Jamais il ne pourrait approcher du ciel, celui-ci tombât-il, et quand même (1, 830) Jupiter, dissolvant les éléments, voudrait en replonger la masse dans leur confusion primitive ; car alors le vaste chaos qui l’environne engloutirait dans ses abîmes et la matière et l’univers écroulé. Là sont de toute éternité, deux portes : l’une, qu’une inflexible loi tient toujours ouverte, reçoit les peuples et les rois ; l’autre, qu’il est défendu d’approcher et de franchir, s’ouvre rarement d’elle-même, pour quelque illustre chef à la