Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/524

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tempêtes au sein des voluptés. Déjà même ils ne veulent plus partir, ni entendre la voix des Zéphyrs qui les appellent. Enfin le héros de Tirynthe, resté hors de la ville pour veiller sur le vaisseau, s’indigne que les dieux soient jaloux de leur hardi dessein ; que ses compagnons n’aient abandonné leur patrie que pour tromper dans un lâche repos l’espoir de leurs familles, et que lui-même soit encore spectateur de tant d’hésitation. « Malheureux ! s’écrie-t-il, nous tous qui nous sommes associés à ton expédition ! (2, 379) Rends-nous, fils d’Éson, le Phase, Éétès, et tous les dangers de la mer de Scythie. L’amour seul de la gloire m’a fait suivre tes pas ; j’espérais fixer les écueils Cyanéens, et, malgré sa vigilance, ravir à un nouveau dragon son trésor. Si tu as résolu d’habiter les rochers de la mer Égée, ce que tu négliges, Télamon et moi nous l’exécuterons. » À ces amers reproches Jason s’éveille. Tel un coursier belliqueux, énervé dans sa patrie par les douceurs d’une paix trop longue, parcourt avec indolence les circuits resserrés d’un manège, puis demande un maître et un frein, sitôt que le cri de guerre et le son déjà oublié des trompettes viennent frapper son oreille ; (2, 390) tel Jason appelle Argus, Tiphys, et les presse de se préparer au départ. Le gouvernail, les rames éparses sur le rivage, les guerriers, tout est en mouvement à la voix du pilote.

Lemnos est une seconde fois plongée dans le deuil ; ce sont partout de nouveaux gémissements, de nouvelles plaintes. Voici ses remparts encore déserts ! Quand donc viendra, pour ses fils, le temps de régénérer la nation et de porter le sceptre ? Maintenant le triste souvenir des assassinats d’une nuit impie, le silence et la solitude de leurs maisons, effrayent d’autant plus les Lemniennes, qu’elles ont formé de nouveaux liens et repris un joug qu’elles avaient brisé. (2, 400) Hypsipyle elle-même, voyant les Argonautes quitter précipitamment la ville et courir au rivage, gémit, et d’une voix plaintive interpelle ainsi Jason : « Ô toi qui m’es plus cher que mon propre père, le ciel est pur, les flots sont calmés à peine, et tu veux partir ! Est-ce ainsi que tu fuirais le port, si les Pléiades t’enchaînaient aux bords ennemis de Ia Thrace ? Ton arrivée, ton séjour parmi nous, c’est donc au temps, à la mer, que nous les devons ? » Elle pleure à ces mots, et donne au héros qu’elle aime une chlamyde tissue de ses propres mains, (2, 410) où l’aiguille retraça, d’une part, la fête qui assura le salut de son père, le char de Bacchus, la foule barbare qui s’écarte et lui livre passage avec terreur, les thyrses aux pampres verts qui s’agitent à l’entour, et au milieu d’eux le vieillard qui s’échappe en tremblant ; de l’autre, le rapt fameux de Ganymède sur les sommets ombragés de l’Ida, sa joie d’être au ciel et d’y assister aux festins des dieux, et l’aigle de Jupiter qui reçoit le nectar de la main du jeune échanson phrygien. Elle lui présente ensuite l’épée de Thoas, illustrée par maints hauts faits. « Reçois-la, dit-elle ; qu’elle te suive à la guerre, au milieu des combats. (2, 420) Ce fer trempé par Vulcain au feu de l’Etna, mon père l’a porté ; maintenant il est digne de faire partie de tes armes. Va donc ; souviens-toi d’un pays qui, le premier, vous reçut avec amour sur son sol hos-