Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/525

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pitalier ; va triompher de la Colchide ; mais, par cet autre Jason que tu laisses en mon sein, reviens à Lemnos. » Elle dit, et tombe aux bras de son jeune époux thessalien. Ainsi restaient suspendues au cou de leurs maris la triste compagne d’Orphée, la tienne, ô petit-fils d’Éacus, et celles de Castor et de Pollux.

Cependant, au milieu de ces larmes, l’ancre oisive est arrachée du sable ; déjà les rames, déjà la voile emportent le vaisseau (2, 430) qui fuit, creusant derrière soi un écumeux sillon. Lemnos n’est plus qu’un point à l’horizon, et déjà paraît l’île d'Électre, célèbre par ces mystères de Thrace, dont un dieu que la terreur environne punit les indiscrets révélateurs. Jamais Jupiter n’osa déchaîner la tempête sur les flots qui la baignent ; seul, son dieu les soulève pour écarter de ses rivages les infidèles nochers. Cependant le pontife Thyotès quitte le sanctuaire, et vient au-devant des Argonautes ; il les reçoit dans le temple, et leur en dévoile les rites mystérieux. Mais c’est assez entretenir de toi le vulgaire, ô Samothrace ! (2, 440) adieu ; laissons à ton culte ses redoutables secrets.

Après leur initiation, les Argonautes joyeux se rembarquent au lever du soleil ; ils perdent de vue les côtes qu’ils avaient visitées, côtoyent l’île d’Imbros, et abordent, vers le milieu du jour, aux rivages de la Dardanie et du promontoire de Sigée. On prend terre. Les uns disposent en légers pavillons de blanches voiles ; les autres écrasent le froment doré sous la meule ; ceux-ci font jaillir d’un caillou l’étincelle qui tombe (2, 450) sur la feuille, et qu’attise le soufre, son actif aliment.

Tandis qu’Hercule et Télamon suivent les contours escarpés et onduleux de ce pittoresque rivage, une voix plaintive, semblable au murmure expirant des flots, vient frapper leurs oreilles. Étonnés, ils pressent le pas ; ils s’avancent dans la direction de la voix ; bientôt ils en distinguent parfaitement les sons : c’était celle d’une jeune fille abandonnée, dévouée à la mort, et qui invoquait les dieux et les hommes. Sûrs de la secourir, ils redoublent d’ardeur. Tels, quand, terrassé par un lion qui le déchire, le taureau remplit l’air de ses mugissements sauvages, (2, 460) on voit les bergers accourir en foule de leurs cabanes, et les laboureurs se rassembler, poussant des cris confus. Hercule s’arrête, lève les yeux, et aperçoit, en haut d’un rocher, une femme les mains étroitement enchaînées, le visage pâle, et les regards tournés avec anxiété vers les premiers flots du rivage. On eût dit une statue d’ivoire que l’artiste força de s’attendrir, un marbre de Paros révélant les traits, le nom de ceux qu’il représente, une peinture vivante. « Jeune fille, dit Hercule, quel est ton nom, ta naissance ? pourquoi cette mort ? pourquoi ces fers ? apprends-le moi. » (2, 470) Celle-ci tremblante, et les yeux pudiquement baissés : « Je n’ai point mérité mon malheur ; cet or, ces vêtements de pourpre que tu vois étalés sur ces rochers, sont les présents funèbres de mes parents. Nous sommes les des-