Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/528

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de retour, et alors je recevrai vos présents. » Laomédon prit les dieux à témoin qu’il en augmenterait encore le nombre ; mais les Phrygiens pleuraient déjà le parjure de leur roi et les malheurs de leur patrie.

(2, 580) Les Argonautes mettent à la voile pendant la nuit ; ils rasent les bords où s’élèvent les tombeaux d’Ilus et de Dardanus, voient les Troyens qui partout veillent dans les fêtes et dans les plaisirs, l’onde réfléchir les feux sacrés de l’Ida, et le Gargare que remplissent de leurs accords sauvages les flûtes phrygiennes. Poussés par un vent frais, ils gagnent le large et entrent dans le détroit jadis sans nom, mais qui porte aujourd’hui celui de la sœur de Phrixus. Tout à coup, au petit jour et du sein de la mer qui s’entr’ouvre, apparaît, à leur grand étonnement, Hellé, (2, 590) la nouvelle sœur de Panopé et de Thétis. Son front est paré de bandelettes ; elle tient dans sa main gauche un sceptre d’or, dont elle calme les flots ; elle regarde les Argonautes et leur chef, et dit à Jason avec douceur : « Et toi aussi, un sort pareil au mien, un roi ennemi de sa famille t’ont poussé des campagnes de la Thessalie à travers des mers inconnues. La fortune disperse encore une fois les pénates d’Éolus ! Toi donc, débris de sa race malheureuse, c’est un fleuve de Scythie que tu vas chercher ! Mais quelles vastes contrées ! quelle mer immense ! Et plus loin le Phase ! Rassure-toi cependant, celui-ci t’ouvrira son embouchure. Là, dans une forêt mystérieuse, sont deux autels (2, 600) qui s’élèvent près d’un tombeau de verdure. Vous y apaiserez d’abord les mânes de Phrixus, et je vous conjure de lui dire en mon nom ces paroles : Je ne suis pas, comme tu le penses, ô mon frère, errante sur les bords silencieux du Styx, et tu me cherches en vain parmi les ombres des enfers. Quand je suis tombée dans les flots, mon corps ne s’est point brisé contre les écueils ; Glaucus et Cymothoé m’ont aussitôt tendu la main dans ma chute ; et le père de l’Océan, plein de bonté pour moi, m’a donné l’empire de cette mer d’où je vois, sans jalousie, Ino régner sur celle qui porte son nom. » (2, 609) Elle dit, et, songeant à ses anciens malheurs domestiques, elle rentre, en gémissant, au fond de son paisible empire. Jason alors, faisant à la mer des libations de vin, s’écrie : « Descendante de Créthée, honneur des ondes et de notre famille, livre-nous passage, et sois, ô déesse, le guide bienveillant des tiens. »

Et il poursuit sa marche. Il passe entre les deux cités baignées par les eaux du détroit, où, plus resserrées, elles sont aussi plus furieuses, et où l’Europe, bordée d’affreux escarpements, échappe aux envahissements de l’Asie. Le temps destructeur, et sans doute aussi le trident de Neptune, séparèrent ces continents réunis autrefois, (2, 620) comme le furent la Sicile et la Libye ; et le bruit de ce déchirement retentit du Taurus aux montagnes occidentales que domine l’Atlas. Déjà les Argonautes ont dépassé les hauteurs de Percote, la côte dangereuse de Parium, et Pitye ; ils laissent derrière eux Lampsaque qui ne connaît ni les fêtes triennales de Bacchus Ogygien, ni