Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/581

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membres du malheureux Canthus, tiraillés en tous sens dans cet étroit espace, sont tantôt entraînés par ceux-ci, tantôt retenus par ceux-là ; sans que de part ni d’autre on veuille lâcher prise. Télamon le saisit enfin par le milieu du corps. Gésandre, qui le tenait aussi par le cou et par les gourmettes du casque, sent le casque lui échapper des mains et tomber à terre : furieux alors, il frappe à coups redoublés le bouclier de Télamon, revient sur Canthus, et le réclame encore. Mais les Grecs l’enlèvent. (6, 370) Le char d’Euryale le reçoit et l’emporte. Bientôt avec les Argonautes accourent Euryale elle-même et ses escadrons ; tous marchent contre Gésandre. Lui, voyant ces soldats d’une espèce nouvelle, ces héros féminins, s’écrie : « Elles aussi ! et nous pour les combattre ? quelle honte ! » Puis il frappe Lycé près du sein, et Thoé à l’endroit que son bouclier laisse à découvert. Il fondait sur Harpé, qui pour la première fois maniait l’arc, et sur Hénippé, qui soutenait son cheval près de s’abattre, quand d’un double coup bien asséné de sa hache au bois noueux, à l’acier garni d’or, la reine (Euryale) lui enlève un morceau et de sa tête et de son casque de cuir. (6, 380) Une nuée de traits tombe en même temps sur lui ; longtemps il résiste ; mais enfin, accablé sous le poids, il est renversé près d’Idas qu’il effraye encore. On eût dit d’un quartier de rocher ou d’une tour qui, cédant à la masse de pierres, de poutres et de projectiles enflammés qui l’ébranlent, s’écroule, et entraîne après soi toute une partie d’une ville.

Ariasmène, jugeant alors qu’il est temps de combattre et qu’on réclame son concours, fait avancer ses chars armés de faux, et les dispose en ordre de bataille. Il se flattait de faire disparaître d’un seul coup Grecs et Colchidiens. (6, 390) Tel, si Jupiter, irrité contre les descendants de Pyrrha, ouvrait de nouveau les digues de l’Océan et faisait déborder les fleuves ; que les sommets du Parnasse, et de l’Othrys aux pins élancés, fussent engloutis dans les eaux ; que les Alpes même décrussent et abaissassent leurs cimes ; tel et non moins terrible est Ariasmène, promenant çà et là ses chars meurtriers, et couvrant la plaine d’un déluge de sang. Pallas lève alors son égide : l’image de Méduse toute dégoûtante des trois cents vipères qui se replient à l’entour, est d’abord aperçue des chevaux. La frayeur les emporte ; ils renversent leurs guides, et sèment la terreur et la mort (6, 400) dans leurs propres rangs. La Discorde, à son tour, embarrasse les chars dans les faux. Comme on voyait naguère, chez les Romains, Tisiphone précipiter les légions contre les légions, les généraux contre les généraux, les enseignes contre les enseignes, les glaives contre les glaives, armant ainsi les uns contre les autres des soldats qui habitaient les mêmes campagnes, et que le Tibre n’avait pas rassemblés de tous les points de l’Italie pour les conduire à de pareils combats ; ainsi Pallas jette un épouvantable désordre parmi ces chars qui tout à l’heure marchaient avec ensemble à l’extermination de leurs ennemis, et, les lançant les uns contre les autres, tourne contre eux-mêmes leurs sanglantes manœuvres, quoi que fassent leurs guides pour les rallier. (6, 410) Rien n’était comparable à cet affreux spectacle ; ni la tempête, quand elle pousse les cadavres sur les