Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/589

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seuil de son appartement ; elle arrive enfin à sa couche. Là, dans le silence des ténèbres, s’exaltant à loisir, elle passe ses longues veilles en proie à mille pensées diverses, n’osant s’interroger sur le mal qui la consume. Bientôt elle se l’avoue à elle-même, et peu à peu elle laisse s’exhaler sa douleur. « Quelle fatalité, quel égarement volontaire chasse ainsi de mes yeux le sommeil ? Telles n’étaient pas mes nuits, jeune héros, avant que je visse tes traits. Pourquoi, insensée que je suis, me les rappeler sans cesse ? Un immense océan nous sépare. Toujours penser à lui, à lui seul ! et pourquoi ? Ah ! livrons-lui plutôt cette toison de Phrixus, seul objet de ses désirs, seul but de ses travaux. Car reviendra-t-il jamais en ce pays ? ou jamais mon père ira-t-il en Thessalie ? Heureux les guerriers qui ont bravé les flots, qui ont affronté les périls d’un tel voyage, pour suivre un tel héros ! Qu’importe ? qu’il parte vite. »

Au milieu de cette agitation et sur cette couche qu’elle est impatiente de fuir, Médée voit poindre enfin l’aube blanchissante. Le jour se lève, et rafraîchit l’amante fatiguée par l’insomnie, comme une douce pluie ranime les épis languissants, ou comme un frais zéphyr assouplit les bras fatigués des rameurs.

Cependant, occupés de leurs grands desseins, les Argonautes choisissent vainement, pour aborder Éétès, le moment où la victoire due à leur courage le transporte de joie. Jason le laisse d’abord offrir aux dieux ses prières et la dépouille des vaincus ; il s’avance ensuite, cherchant s’il ne verra point quelque part la toison promise resplendir sous les voûtes de l’édifice.

Mais Éétès ne pouvait déguiser plus longtemps son visage ni ses paroles ; il va droit à Jason qui n’osait parler, et exhale en ces mots son dépit : « Nés sous un autre ciel, maîtres d’autres pays, d’autres mers, quelle folie ou quel si grand amour pour moi vous a poussés ici du fond de vos lointains rivages ? toi, Phrixus, toi mon gendre et la première cause de mes malheurs, pourquoi, comme ta sœur, n’as-tu pas été submergé ? Heureux encore, j’ignorerais jusqu’au nom des Grecs ! Qu’est-ce que ce roi Pélias, ce Thessalien, et toute la Grèce ? Quels sont ces hommes que je vois ? Rochers Cyanéens, où êtes-vous ? Des étrangers venir en Scythie ! Un Jason, ô honte, et cinquante bannis pénétrer en Asie ! Un vaisseau, un seul me mépriser assez pour me dépouiller moi vivant, moi régnant ! M’ordonner d’apporter moi-même la toison, de violer nos sacrés asiles, sans daigner seulement m’y forcer par la victoire ! Dis-moi, pirate, pourquoi ne pas ravir à tous nos temples les offrandes sacrées, arracher les filles du sein de leurs mères ? Croirai-je que vous avez une patrie, une famille, vous que font vivre la piraterie et la tempête ; vous qui, de votre aveu même, fûtes jetés sur les flots, et proscrits à jamais par votre propre roi ? Ai-je, pour m’emparer de la toison d’or, transformé en vaisseaux et lancé à la mer la dépouille du Caucase, promené le