Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/596

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gouttes de son bec entr’ouvert ; plante que le temps n’affaiblit jamais, dont la verdure est éternelle, qui résiste à la foudre et fleurit au milieu des flammes. Armée d’une faux trempée dans le Styx, Hécate, la première, arracha du sein des rochers sa robuste tige ; et Médée, imitant la déesse qui la lui avait fait connaître, venait chaque mois, au dixième jour de la lune, faire aussi l’horrible moisson, et poursuivre sans relâche tous les restes du sang d’un dieu. Celui-ci, à la vue de la jeune fille, gémissait en vain ; la faux réveillait ses douleurs, faisait contracter ses membres et résonner ses chaînes.

Munie de ce charme puissant, mais fatal à sa patrie, Médée s’avance en tremblant au milieu des ténèbres. Vénus la tient par la main, la rassure par des paroles caressantes, et, sans la quitter d’un pas, lui fait traverser la ville. Comme on voit la couvée timide, sortant du nid pour la première fois, s’élever sur ses ailes, encouragée dans son essor par la mère attentive, puis bientôt, éblouie par l’éclat des cieux, demander à revenir et gagner l’arbre qui lui sert de retraite ; ainsi Médée, traversant la ville à cette heure de la nuit, se sent défaillir. Les ténèbres, les maisons silencieuses, tout lui fait horreur. Elle s’arrête à la dernière porte de la ville, et s’abandonne encore une fois aux larmes et à la douleur. Là, regardant la déesse, elle hésite de nouveau et dit :

« Est-il bien vrai qu’il me prie, qu’il m’implore ? Ne fais-je point une faute ? Ma pudeur est-elle sans tache et mon cœur sans amour ? Écouter un suppliant, est-ce une chose honteuse ? » Inutiles scrupules auxquels Vénus ne répond pas.

À mesure que Médée, prononçant des formules magiques, s’avance dans les ténèbres, les astres se voilent, les fleuves se détournent de leur cours. La terreur est dans les étables ; les tombeaux s’agitent ; la Nuit, étonnée d’une obscurité si profonde ralentit sa marche ; déjà même Vénus ne suit plus qu’en tremblant la jeune fille. À peine sont-elles arrivées dans le bois sacré d’Hécate, que Jason paraît devant elles. Son aspect inattendu frappe tout d’abord les regards de Médée. Iris s’enfuit alors d’un vol rapide, et Vénus quitte la main de la jeune fille. Comme on voit, à la nuit close, pasteurs et troupeaux frappés d’une terreur panique, ou comme des ombres silencieuses qui se rencontrent au séjour des enfers, ainsi, dans l’épaisseur des ténèbres et de la forêt, Jason et Médée apparaissent l’un à l’autre, tous deux muets, tous deux immobiles, et pareils à des sapins ou à des cyprès dont le vent n’a point encore agité le feuillage.

Pendant qu’ils restent ainsi en silence et les yeux baissés, le temps s’écoule. Médée cependant voudrait que Jason levât la tête et parlât le premier. Jason, qui voit son trouble, ses larmes, sa rougeur et sa honte, lui adresse ces paroles : « M’apportez-vous quelque espoir de salut ? Venez-vous compatir à mes peines ou vous réjouir de ma mort ? Ah ! jeune fille, ne ressemblez pas,