Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/597

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

je vous en conjure, à votre injuste père : un cœur dur siérait mal à de pareils attraits. Était-ce là reconnaître, était-ce là récompenser dignement mes services ? Moi qui suis à vous tout entier, devais-je, sous vos yeux mêmes, être trompé a ce point ? Soyez juste : votre père lui-même ne me força pas d’abord à combattre des monstres ; cette peine je ne l’avais point méritée, et il ne me l’infligea pas. Me punirait-il aujourd’hui, parce que Canthus a succombé sous le javelot d’un barbare, qu’Iphis est mort en défendant vos murailles, que tant de Scythes ont été terrassés par mon bras ? Mais non ; à peine arrivés, il nous a ordonné de partir, de quitter ses États. Il s’acquitte enfin de sa promesse ; à quel prix, à quelle condition ? vous le voyez. Dans ces nouveaux dangers je puis périr, sans doute ; mais j’y suis résolu, plutôt que de désobéir à ses ordres. Je ne sortirai pas d’ici sans la toison, et ce n’est pas vous qui me verrez pour la première fois manquer de courage. »

Il dit : la timide Médée, voyant, à la figure suppliante du héros, qu’il attend sa réponse, ne sait ni ce qu’elle doit dire, ni comment elle le dira. Elle voudrait s’ouvrir tout entière ; mais la pudeur ne la laisse pas commencer. Longtemps elle hésite, et levant enfin les yeux : « Pourquoi, dit-elle, jeune Thessalien, êtes-vous venu dans ce pays ? Pourquoi votre espérance en moi, et cette défiance de vous-même en face du danger, et alors que vous ne devez compter que sur votre courage ?Ainsi donc vous périssiez, si je n’eusse osé sortir du palais de mon père ! ainsi cette âme si fière était vouée au destin le plus rigoureux ! Et Junon, et Pallas, où sont-elles ? Une princesse étrangère venir seule à votre aide dans de si grands périls ! Vous vous en étonnez ; je m’en étonne moi-même, et ces forêts déjà ne reconnaissent plus la fille d’Éétès. Mais je cède à vos destinées ; elles m’ordonnent de vous offrir ceci ; acceptez-le à titre de suppliant. Si Pélias veut encore vous perdre, s’il vous envoie courir encore de nouveaux dangers, de nouvelles aventures, hélas ! ne vous fiez plus désormais à votre seule beauté. » À ces mots, elle tirait déjà de sa ceinture la plante née du sang d’un Titan, lorsqu’elle ajouta : « Si pourtant vous avez quelque espoir dans la protection des dieux, ou si votre bravoure peut vous soustraire à la mort, agissez sans moi, je vous en conjure, et laissez-moi, ô étranger, retourner innocente vers mon père. »

Cependant les astres à leur déclin ne se couchaient point encore ; le char du Bouvier était immobile ; l’art de Médée les avait enchaînés dans leur course. Elle se hâte donc de présenter à Jason le talisman, et, comme si elle lui livrait à la fois sa patrie, sa réputation, son honneur, elle sanglote et verse des larmes abondantes. Jason accepte, et saisit avec empressement le précieux cadeau. Coupable dès ce moment, Médée perd bientôt cette première pudeur qui ne revient jamais : Érinnys la presse et la possède tout entière. Elle murmure autour du héros et sur chacun de ses membres des paroles magiques, elle les répète sept fois sur son bouclier, et elle ajoute au poids et à la force de sa lance. Les taureaux, bien