Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dre dans toute l’étendue, envahir la terre, les ondes, et baigner les hauteurs du ciel : tant leur essor est prompt, et leur aile légère ! Mais alors ceux qui occupent la cime, prêts au départ, une fois livrés à un élan que nul obstacle ne retarde, combien ne doivent-ils pas aller plus vite, plus loin, et franchir un espace plus vaste, dans cet intervalle que met un rayon de soleil à dévorer les cieux !

(4, 210) Voici un exemple plus frappant encore de cette rapidité qui entraîne les images. Dès que tu exposes le cristal des eaux à la face riante des nuits étoilées, aussitôt les astres, flambeaux étincelants du globe, répondent au miroir. Vois-tu dès lors avec quelle promptitude leur image tombe des régions célestes aux régions de la terre ? Je le répète donc, ces merveilles nous obligent à reconnaître des émanations qui frappent, qui harcèlent les yeux [218], et qui sont un écoulement perpétuel des mêmes assemblages. (4, 220) Le froid émane des eaux courantes ; la chaleur, du soleil ; et du bouillonnement des vagues, un sel qui ronge les murailles autour de la plage. Mille sons divers ne cessent de flotter au vent. Enfin, une vapeur au goût salé attaque nos lèvres, quand nous sommes au bord de la mer ; et l’absinthe qu’on délaye, qu’on mélange devant nos yeux, nous blesse de son amertume. Tant il est vrai que toute chose vomit une matière flottante qui se répand de toutes parts, en tous sens : ni trêve ni repos qui interrompe le flux des êtres, puisque nos organes sont toujours en éveil, et que toujours (4, 230) ils peuvent voir, ou sentir, ou entendre mille retentissements.

En outre, comme nos doigts, maniant une forme dans les ténèbres, la reconnaissent pour la même qui se voit à la blanche lumière du jour, une cause semblable doit émouvoir le tact et la vue. Mais alors, si nous explorons la nuit un carré qui nous affecte, le jour peut-il envoyer à nos regards autre chose que son image carrée ? Les images sont donc le germe de la vue ; rien de plus clair, et sans elles tous les corps demeurent invisibles.

(4, 240) Je dis maintenant que ces images tourbillonnent et jaillissent éparses de tous côtés ; mais les yeux seuls étant capables de voir, il arrive que là où le regard se tourne, mille corps y donnent avec leur couleur et leur forme. La distance même nous est révélée par les images, qui ont soin de marquer leur intervalle ; car, à peine dardées, elles battent et foulent les airs qui sont entre nos yeux et elles. Ce courant glisse tout entier sur nos prunelles, (4, 250) les balaye en quelque sorte, et passe. Voilà comment nous apercevons toutes les distances : l’abondance du vent que chassent les images, la longueur du souffle qui effleure nos yeux, est la mesure de leur écartement. Admire l’extrême vitesse de ces opérations, qui montrent à la fois de quelle nature sont les êtres, et à quel intervalle.

Ne sois pas étonné de voir les corps nous ap-