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Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/86

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paraître, quand les images qui nous frappent ne sont point isolément visibles. (4, 260) Battus par un vent qui se déchaîne peu à peu, inondés par un froid aigu, avons-nous coutume de sentir tour à tour les premiers atomes du froid ou du vent ? Non, ils agissent en masse : nous les voyons heurter nos membres, comme si nous endurions le choc de quelque matière sensible. Nos doigts, quand ils rencontrent une pierre, ne touchent que la surface, que la couleur, écorce fine : est-ce donc la couleur qui les affecte ? non, ils sentent la dureté enfouie dans les entrailles de la pierre.

(4, 270) Sache maintenant pourquoi les images se peignent au delà du miroir ; car, évidemment, elles semblent fort reculées. Oui, comme de véritables corps nous apparaissent derrière nos portes, qui laissent le champ ouvert au regard, et lui font apercevoir mille choses éloignées du seuil. Deux airs, deux courants prolongent ainsi la vue. Nos yeux reçoivent d’abord le vent qui est en deçà des portes, ensuite les portes elles-mêmes qui arrivent de chaque côté, ensuite les atteintes du jour extérieur, et un second air que suivent les objets réels de cette vue lointaine. (4, 280) De même, sitôt que le miroir décoche son image pour atteindre nos organes, elle bat et refoule les vents intermédiaires, longue colonne qui se fait sentir avant elle. Mais à peine le miroir nous frappe-t-il, que nos propres images, déjà échappées, y arrivent, y échouent ; et, rejaillissant à nos yeux, elles précipitent, elles roulent un autre tourbillon, et nous le montrent avant de se faire voir elles-mêmes. Voilà comment elles paraissent si écartées du miroir. (4, 290) Je le répète donc, nos adversaires ne peuvent crier merveille, de voir le rejaillissement des images à la surface du miroir expliqué par les deux airs ; car ils assignent au même fait la même cause.

Mais pourquoi le miroir représente-t-il à gauche le côté droit de nos membres ? Parce que les images, quand elles gagnent et heurtent la surface polie, ne reculent pas sans altération. Elles se retournent pour fuir, comme si on appuyait sur un pilier de bois un masque de terre qui ne fût point encore sec, (4, 299) et que la face, demeurée pure, quoique refoulée par le choc, vînt se peindre derrière : tu verrais aussitôt ce qui occupait la droite passer à gauche, ce qui était à gauche envahir la droite.

Souvent aussi les images, renvoyées de miroir en miroir, offrent cinq ou six fois la même ressemblance. Toute reculée, tout enfouie que soit une chose, fût-elle de travers, elle peut encore jaillir de sa retraite profonde sous les rayonnements obliques de plusieurs glaces, qui la font apercevoir dans la salle : tant les images étincellent de miroir en miroir ! (4, 310) Celles qui émanent de gauche rebondissent à droite ; puis, elles se tournent de nouveau, et reprennent le même sens.