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LIVRE PREMIER

Les bords du vase, enduits d’un miel qui les parfume,
À cet âge léger dérobent l’amertume ;
L’enfant est dupe et non victime ; il boit sans peur,
Et dans le corps descend le suc réparateur,
Emportant avec lui les douleurs et les fièvres.
Le mensonge sauveur n’a trompé que les lèvres.
Ainsi je fais passer l’austère vérité,
Baume suspect à ceux qui ne l’ont pas goûté.
La foule, enfant qu’allèche une innocente ruse,
Cédant sans défiance au charme de la Muse,
Sous le couvert du miel boira les sucs amers.
Ainsi puissé-je, ami, te charmant de mes vers,
Dans ton âme surprise infuser la Nature !

960Je t’ai de la matière exposé la structure
Et la solidité des principes constants
Qui dans l’espace ouvert volent, vainqueurs du temps.
Maintenant, l’univers, leur ensemble et leur somme,
Est-il ou non borné ? Le lieu, ce que je nomme
Le vide, champ de l’être et carrière des corps,
N’est-il pas circonscrit par d’immuables bords ?
Ou remplit-il sans fin l’immensité profonde ?

Mais d’abord, quelle route, environnant le monde,
En marquerait le tour ? Pour être limité,
Il faudrait que le monde eût une extrémité :
C’est au delà des corps qu’est situé leur terme.
Or rien ne se conçoit que l’univers n’enferme ;
Rien qui soit au delà de la totalité.
Donc le monde, le tout, n’a point d’extrémité.