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DE LA NATURE DES CHOSES

Le poids empêche bien qu’à l’acte ne préside
Un agent étranger ; mais l’esprit qui nous guide
Demeure libre en nous malgré la pesanteur.
300C’est la déclinaison qui meut notre moteur ;
C’est cet écart subtil, qui, sans route suivie,
Sans heure et sans lieu fixe en liberté dévie.

Le fond primordial n’a pas changé. Jamais
Dans sa trame il ne fut plus dense ou moins épais.
Sa masse ne subit ni perte ni croissance.
Donc les germes premiers qui forment la substance
Gardent le mouvement qui dirigea leur cours
Et, tel qu’il est acquis, le garderont toujours.
Ce qui naissait naîtra. Chaque être a sa mesure
Que lui font l’habitude et sa propre nature,
Cercle où tout doit éclore et croître et se mouvoir.
L’univers, c’est le tout sans bornes. Quel pouvoir
Détournerait du tout une seule parcelle ?
Où fuir ? et d’où rentrer ? Quelle force nouvelle
Viendrait troubler la marche et l’ordre des rapports ?
Tout réside en la somme, et rien n’est en dehors.

Tandis que tout gravite et se meut par soi même,
L’ensemble cependant goûte une paix suprême ;
À moins qu’un pouvoir propre, à leur forme inhérent,
320N’arrache certains corps à ce calme apparent :
Comment s’en étonner ? L’impalpable substance
Hors de notre portée a placé son essence ;
Va-t-elle à nos regards livrer son mouvement ?
Surtout quand, tous les jours, le seul éloignement