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DE LA NATURE DES CHOSES

Les germes, tu le sais, doivent être innombrables.
Comment leur refuser des formes dissemblables ?
Prends-moi tout ce qui vit, le genre humain, la gent
Muette des nageurs aux écailles d’argent,
Les bêtes et les fleurs ; prends les races ailées,
Gais oiseaux voltigeants sous les vierges feuillées,
Et ceux dont les étangs, les sources et les mers
360Sur leurs bords animés rassemblent les concerts ;
Chacun a sa figure et du voisin diffère.
Sans quoi, par où l’enfant connaîtrait-il la mère,
Et la mère l’enfant ? Instinct commun à tous,
Qui ne manque pas plus aux animaux qu’à nous.
Souvent au seuil des dieux, paré pour l’hécatombe,
Devant l’autel qui fume, un jeune taureau tombe,
Exhalant par sa plaie une écume de sang.
Et la mère orpheline, en tous lieux dispersant
L’empreinte de son pied fourchu, marche, regarde,
Explorant tout des yeux, si quelque ombre lui garde
Son fils perdu. Parfois, elle attend ; ses regrets
De longs gémissements remplissent les forêts.
En sa perte absorbée, elle court à l’étable.
Rien ne distrait son cœur du souci qui l’accable.
Fermes gazons nourris de rosée, arbrisseaux
Tendres, fleuve à plein bord roulant ses claires eaux,
Sur ce mal obstiné tous les charmes échouent.
Voit-elle dans les prés d’autres taureaux qui jouent ?
Vaine diversion ! Ce qu’elle cherche, c’est
380Quelque chose de sien, et qu’elle connaissait.
L’agneau mutin s’attache à la brebis bêlante,
Et le tendre chevreau suit d’une voix tremblante