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LIVRE DEUXIÈME

La Nature avec moi le crie : autour de nous,
En large comme en long, dessus comme dessous,
L’infini se déploie, et l’évidence inonde
D’une pleine clarté l’immensité du monde.
Or, comment supposer, quand si profondément
L’espace illimité s’ouvre et qu’un mouvement
Éternel et divers en ses gouffres immenses
Dissémine le vol d’innombrables semences,
Qu’il ne se soit formé qu’une terre et qu’un ciel ?
Quoi ! stérile rebut du fonds substantiel,
Tant de germes, pareils à ceux dont la Nature
Au hasard, à tâtons, combina la structure,
Dont les chocs spontanés ont fondé l’univers,
La terre et les vivants et les cieux et les mers,
N’auraient en aucun lieu condensé leur poussière !
Non, non. Il est ailleurs des amas de matière,
Des mondes habités, frères de ce séjour
1080Dont notre éther embrasse et maintient le contour.

Quand l’atome est en nombre et la carrière prête,
Il faut, et nul pouvoir, nul retard ne l’arrête,
Il faut que l’être naisse et que la chose soit.
Quand ce nombre est si grand qu’à peine il se conçoit,
Qu’avant de le compter s’useraient mille vies,
Les semences des corps, incessamment servies
Par l’immanent pouvoir qui les groupe en ces lieux
Dans leur ordre présent, doivent sous d’autres cieux
Produire, conviens-en, d’autres terres, domaines
D’autres corps animés, d’autres races humaines.