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LIVRE DEUXIÈME

Heure où la vie oscille, où la Nature même
À sa force expansive impose un frein suprême.

Tout ce que nous voyons, d’un pas allègre et sûr
Par degrés s’élevant, monter à l’âge mûr
Perd moins qu’il ne reçoit. Les aliments, sans peine
Dans le corps retenus, coulent de veine en veine ;
Et la cohésion des organes suffit
À proportionner la dépense au profit.
Car si maint élément des contours se dégage,
Si nous perdons beaucoup, nous gagnons davantage,
Jusqu’au point culminant que nul ne peut franchir.
C’est là que les ressorts commencent à fléchir,
Que vers l’autre versant l’âge adulte décline.
Ce qui ne s’accroît plus penche vers sa ruine.
Plus large est la surface et plus ample est le bloc,
Plus il perd d’éléments détachés par le choc.
Les sucs réparateurs sont taris dans leur source ;
Des vaisseaux appauvris qui retardent leur course
Ils s’échappent à flots, sans retour, sans reflux,
1140Et les vides ouverts ne se réparent plus.
Dés lors, il faut mourir. Rien ne refait la trame
Du corps raréfié que la vieillesse affame.
L’acharnement des chocs, les assauts du dehors,
Ne cessent d’en troubler, d’en broyer les ressorts.
La vie, enfin, s’écoule et périt tout entière.

Ainsi doivent pourrir et crouler en poussière
Les murailles d’un monde assiégé par la mort.
Rien ne dure et ne tient sans l’assidu renfort