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LIVRE TROISIÈME

Certes, plus d’un mortel préfère, en ses discours,
Aux tourments d’un long mal ou d’une vie infâme
Les gouffres du Ténare : « Ils savent ce qu’est l’âme,
Du sang, un peu de vent peut-être, et rien de plus ;
Et nos enseignements sont pour eux superflus ! »
Prends garde, ces grands mots ne sont qu’une attitude ;
L’amour du bruit les dicte et non la certitude.
Chassés de leur patrie, abreuvés de tourments,
En fuite sous le poids de soupçons infamants,
Loin des regards humains ces déclamateurs vivent.
En quelque affreux désert que leurs maux les poursuivent,
Tu les vois implorer les mânes des aïeux,
Et de noires brebis gorger les sombres dieux ;
Et plus dur est le sort, plus leur audace expire ;
Plus la religion reprend sur eux d’empire.
Attends l’homme à l’épreuve et, pour le bien juger,
60Observe ce qu’il est en face du danger.
Alors du fond des cœurs jaillit le vrai langage,
Et le masque arraché laisse à nu le visage.


Ces rapaces désirs, ces aveugles ardeurs
Qui marchent sur le droit pour monter aux grandeurs,
Ces complices du crime, ulcère de la vie,
Qui vers la proie en vain nuit et jour poursuivie
Des malheureux mortels précipitent l’effort,
Pour aliment premier ont la peur de la mort.
Exclus de toute vie assurée et prospère,
Le mépris et la honte, avec l’âpre misère,
Semblent nous précéder, tristes avant-coureurs,
À ce seuil du tombeau dont nos fausses terreurs