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DE LA NATURE DES CHOSES

Les terreurs de l’esprit se dissipent, les cieux
S’ouvrent, et, par delà les murailles du monde,
Dans le vide se meut la matière féconde.
À mes yeux apparaît la demeure des dieux,
20Riante paix qu’inonde un éclat radieux,
Que ne violent pas les vents et les orages,
Où ne tombe jamais, d’un éther sans nuages,
Le givre en flocons blancs par l’âpre hiver durci.
La Nature y répand tous ses biens. Nul souci
N’effleure le repos de ces âmes sereines.
Nulle part je ne vois les rives souterraines
Du fabuleux Cocyte, et sous notre univers.
Rien n’empêche mes yeux d’embrasser, au travers
Du vide, sous mes pieds, le mouvement des choses,
Quand je vois, par ta force, et jusqu’au fond des causes,
S’éclairer la Nature en son immensité,
Je ne sais quel frisson de sainte volupté,
Quelle divine horreur envahit tout mon être.

Et puisque mes leçons ont fait assez connaître
Les types variés, l’éternel mouvement
Et l’essor spontané des germes, et comment
Leur concours a du monde ordonné la structure,
C’est l’heure maintenant d’expliquer la nature
De l’esprit et de l’âme ; il est temps que mes vers
40Rejettent au néant cette peur des enfers
Qui si profondément trouble la vie humaine
Que nul plaisir n’est pur, nulle volupté pleine,
Tant l’ombre de la mort en assombrit le cours !