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LIVRE TROISIÈME

Ce fluide subtil doit occuper d’espace :
Quand le repos funèbre est en nous descendu,
L’esprit et l’âme ont fui, mais rien ne s’est perdu
De la forme et du poids, rien de ce qui fut l’homme ;
De son dépôt la mort représente la somme ;
Seuls le souffle et la flamme intime sont partis.
220C’est que l’âme, réseau d’atomes très-petits,
Entre les nerfs, les os et les veines pénètre ;
Elle a pu tout entière abandonner tout l’être
Sans toucher au contour des membres ; le dehors
Est sauf, et le poids même est resté dans le corps.
Ainsi, lorsque du vin s’est exhalé l’arome,
Quand l’air a dispersé la douce odeur du baume,
Quand s’est perdu le suc enfermé dans le fruit,
Le volume à nos yeux n’en paraît point réduit ;
Le poids n’a pas changé ; parce que les aromes
Et les sucs sont formés d’impalpables atomes.

Si donc sans altérer les formes et les poids
L’âme s’évanouit, c’est, encore une fois,
Que des germes subtils composent sa substance.
Non pas qu’elle soit une et simple en son essence ;
Puisque par les mourants l’esprit est exhalé,
Il est souffle : et ce souffle est de chaleur mêlé ;
La chaleur ne va pas sans air et toute flamme
En contient ; aux défauts de cette frêle trame
L’air glisse par milliers ses globules ténus.
240Mais ces trois éléments constatés, reconnus,
D’eux-mêmes peuvent-ils créer ce sens intime,
Contre-coup ressenti par l’être qui l’anime,