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DE LA NATURE DES CHOSES

Où l’ignorance voit un don miraculeux ?
Ce pouvoir, j’en conviens, n’existe en aucun d’eux.
À ces éléments donc s’en joint un quatrième,
Sans nom, presque sans corps, la ténuité même,
Sans égal en souplesse, et dont le mouvement
De membre en membre éveille en nous le sentiment.

Germe de l’action, cette fluide essence
Met en jeu la chaleur, puis l’aveugle puissance
Du vent, puis l’air, enfin gagne et pénètre tout
Et, par les nerfs émus et par le sang qui bout,
Transmet au fond des os et jusque dans les moelles
Le feu des voluptés ou des fièvres cruelles.
Le mal qui peut l’atteindre est le trait de la mort ;
Tout s’écroule ; la vie attaquée en son fort
Cherche en vain où se prendre et perd pied ; toute l’âme
S’enfuit par chaque pore en impalpable flamme.
Heureux quand le torrent ne passe point les bords !
260La vie alors subsiste et rentre dans le corps.

Mais quelle loi combine et revêt de puissance
L’accord des éléments de la quadruple essence ?
Notre indigent latin, rebelle à mon désir,
T’en apprendra du moins ce que j’en puis saisir ;
Encor me bornerais-je aux aperçus sommaires.
Les mouvements croisés de ces substances mères,
Leurs pouvoirs indivis, n’admettent point d’écart
Qui laisse de chacune évaluer la part.
Ressorts divers d’un être unique, elles ressemblent
Aux agents que nos chairs en nos tissus rassemblent,