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XI
PRÉFACE

d’une époque tumultueuse, aux désirs des âmes désorientées par la tempête. Elle arrachait l’esprit aux terreurs superstitieuses, à l’épouvantail des dieux insensés. C’est par là qu’elle a séduit Lucrèce. C’est par là qu’elle a mérité d’être appelée l’émancipatrice du genre humain.

Qu’importent aux générations modernes le but particulier, les erreurs sociologiques d’Épicure et de Lucrèce ? Les mœurs, les aspirations variables sont plus puissantes que les philosophies pour conduire la vie et régler les actions. Mais le mépris de la routine, l’horreur du préjugé, l’amour de la vérité pour elle-même, ont besoin de fortes initiatives et de grands exemples. Là est le bienfait de l’Épicurisme antique. Il a rendu le monde et l’homme à eux-mêmes, la nature à ses lois, l’esprit à la raison, c’est-à-dire à l’expérience. Aussi le nom de Lucrèce est-il mêlé à tous les progrès du genre humain ; il reparaît jeune et vivace à chaque époque critique, à chaque défaite des mysticismes et des théurgies. Les systèmes passent, même le sien, mais ses principes, son impulsion persistent. L’homme a véritablement travaillé dans le plan du sage, et le résultat de chaque science a toujours confirmé l’axiome fondamental : tout est matière et force, ou plutôt, substance en mouvement. Les dieux ont lutté pied à pied contre l’observation victorieuse ; mais ils n’ont jamais repris les positions qu’elle leur a enlevées ; et ils rentreront tour à tour dans le domaine illusoire où Démocrite, Épicure, et Lucrèce les avaient confinés d’avance.