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DE LA NATURE DES CHOSES

Quand ce qui blesse l’œil n’atteint pas la prunelle,
La vue intacte y siège et se concentre en elle.
Oui, dût la cécité s’ensuivre tôt ou tard,
Si le globe n’est point crevé de part en part,
La pupille suffit. Mais ce cœur de l’organe,
Centre si délicat de l’orbe diaphane,
Périt-il ? Baignez l’œil de tous les feux du jour !
420Le jour a fui soudain dans la nuit sans retour.
Et bien ! l’âme c’est l’œil, l’esprit c’est la prunelle,

Mais écoute ; il est temps que ma voix te révèle
D’autres vérités, fruit des travaux longs et chers
Qui remplissent ma vie et que parent mes vers.

L’âme naît, l’esprit naît, donc l’âme et l’esprit meurent.
(Comme en constant accord leurs substances demeurent,
Pour nommer l’une et l’autre un des deux mots suffit.
Ce que j’écris de l’âme entends-le de l’esprit.
Ainsi, quand je dirai : l’âme est chose mortelle,
Ne va pas oublier que l’esprit meurt comme elle.)

L’âme en ténuité, je l’ai montré plus haut,
Passe les plus subtils des tissus. Il s’en faut
Que l’eau de loin l’égale ; et, près de sa matière,
Le nuage est palpable et la flamme grossière.
Elle est donc plus fluide et plus fugace encor.
Le choc le plus léger éveille son essor :
L’ombre de la vapeur, le reflet du nuage,
Même le jeu du rêve apportant leur image,
Simulacre qui flotte au-dessus des mortels