Incessamment versés, des rayons neufs se pressent
Sur le chemin tracé par ceux qui disparaissent,
Et chacun semble un fil dévidé dans le feu.
C’est pourquoi tout d’un coup la lumière en un lieu
S’éclipse et, retombant d’une chute soudaine,
Lave d’un flot de jour l’ombre posée à peine.
N’accusons pas les yeux. Signaler tour à tour
En tel endroit de l’ombre, en tel autre du jour,
C’est l’office des yeux. Mais la lumière est-elle
Une, immuable ? ou bien successive et nouvelle ?
L’ombre est-elle un fantôme, un être, un mouvement ?
Ou bien, comme on l’a dit, l’éclipse d’un moment ?
L’esprit seul en est juge, et seul conçoit les causes.
Les yeux n’atteignant pas la substance des choses,
Aux erreurs de l’esprit les yeux n’ont point de part.
Le vaisseau qui nous porte a levé l’ancre ; il part
Et nous semble immobile ; et, sur notre passage,
Les barques au repos semblent fuir vers la plage ;
Et les coteaux du bord, les champs que nous rasons
Reculent à l’arrière au fond des horizons.
C’est nous seuls qui loin d’eux volons à pleines voiles.
Aux voûtes de l’éther nous rivons les étoiles.
Elles voguent pourtant, et d’un cours éternel,
Puisque chaque orbe d’or, faisant le tour du ciel,
Retrouve les jalons de sa route infinie.
Quelquefois cependant, mais la raison le nie,
La lune et le soleil semblent sans mouvement.
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LIVRE QUATRIÈME