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LIVRE QUATRIÈME

Vers l’eau qui fuit sous toi baisse un moment la tête :
L’animal, immobile en travers, t’apparaît
Poussé contre le flot par un pouvoir secret.
Quelque objet qu’à ta vue offrent les bords du fleuve,
Contre le sens de l’onde il semble qu’il se meuve.

Ce portique établi sur des piliers égaux
440Déploie en droite ligne un double rang d’arceaux.
Mais dès que l’œil, du fond, dans sa longueur l’enfile,
Son champ se rétrécit par degrés. Il s’effile
En pointe, rapprochant ses deux flancs bout à bout,
Joignant le sol au toit, jusqu’à ce que le tout
En cône vaporeux se confonde et s’achève.

En mer, le marin croit que le soleil se lève
Sur l’onde et que dans l’onde il éteint son flambeau.
C’est vrai ; car il ne voit que le ciel et que l’eau :
Ses impressions donc ne sont pas si menteuses.

Celui qui ne sait pas voit les barques boiteuses
De leurs membres rompus lutter contre les eaux ;
Rames et gouvernail pendent en deux morceaux,
Droits au-dessus de l’onde et tordus sous les lames.
La réfraction courbe et déjette les rames
Qui flottent à fleur d’eau sur le miroir mouvant.

Quand, sur le ciel nocturne emportés par le vent,
Les nuages épars rencontrent les étoiles,
Les astres à rebours semblent fendre ces voiles
Et fuir loin de l’orbite où leurs cours est fixé.