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LIVRE QUATRIÈME

Où donc, pour ces amants, est la volupté pleine !
Quel aiguillon secret les pique et les déchaîne
Sur l’objet, quel qu’il soit, d’où jaillirent pour eux
Les germes enivrants du désir amoureux !

Vénus vient, je le sais, amortir la blessure
Et mêler doucement un baume à la morsure.
Ils espèrent noyer leur flamme dans le feu,
L’éteindre dans le corps qui l’allume ; à leur vœu,
Par malheur, la Nature ouvertement s’oppose.
L’amour nourrit l’amour ; il est l’unique chose
Dont la possession aiguise le désir.
1120Plus le cœur en a pris, plus il en veut saisir.

Lorsque les aliments liquides ou solides,
Par le corps absorbés, y comblent certains vides,
Les besoins satisfaits s’apaisent aisément.
Mais, d’un visage cher, que peut garder l’amant ?
D’impalpables baisers sans corps, frêles fantômes
Dont l’espoir en pleurant jette au vent les atomes !
Parfois, on cherche à boire en songe, et l’eau s’enfuit ;
Rien n’étanche la soif dévorante ; on poursuit
Des fantômes de source où l’on croit qu’on s’abreuve.
Vains efforts ! La soif reste, et l’on brûle en plein fleuve.
Ainsi d’illusions Vénus repaît l’amour,
Sans le rassasier ; et, du tendre contour
Où s’égaraient les yeux en des charmes sans nombre,
Rien ne reste en nos mains qu’un fantôme et qu’une ombre.

Et quand Vénus, troublant d’un frisson précurseur